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N° 762 - La vie égale

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

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« – Par conséquent, dis-je, il passe sa vie au jour le jour, à ainsi satisfaire le premier désir venu : tantôt il s’enivre en se faisant jouer de la flûte, puis à l’inverse il ne boit que de l’eau et se laisse maigrir, tantôt encore il s’exerce nu, quelquefois il est oisif et insoucieux de tout, et tantôt il a l’air de se livrer à la philosophie. Et souvent il se mêle des affaires de la cité, et sur une impulsion, il dit ou fait ce qui lui vient à l’idée. Et si jamais il envie les spécialistes de la guerre, il se porte de ce côté là ; ou les spécialistes de l’argent, de cet autre côté encore. Il n’y a ni ligne directrice ni contrainte qui s’imposent à sa vie. Il nomme ce genre de vie délicieux, évidemment, libre, et heureux, et c’est celui qu’il adopte en tout temps.

– Tu as parfaitement bien décrit, dit-il, le genre de vie d’un homme dont la loi est l’égalité. »

Platon, La République
(ramassé par François Delastre)

Oct 2017 - Lien du Post

N° 759 - L’inutilité de la pensée

« La réification qui a lieu dans l’écriture, la peinture, le modelage ou la composition est évidemment lié à la pensée qui l’a précédée, mais ce qui fait de la pensée une réalité, ce qui fabrique des objets de pensée, c’est le même ouvrage qui, grâce à l’instrument primordial des mains humaines, construit les autres objets durables de l’artifice humain… C’est toujours dans la « lettre morte » que « l’esprit vivant » doit survivre dans une mort dont on ne peut le sauver que si la lettre rentre en contact avec une vie qui veut la ressusciter… La pensée n’a ni fin ni but hors de soi ; elle ne produit même pas de résultats ; […] la pensée est « inutile » – aussi inutile en effet que les œuvres d’art qu’elle inspire. Et ces produits inutiles, la pensée ne peut même pas les revendiquer, car, de même que les grands systèmes philosophiques, ils peuvent à peine passer pour les résultats de la pensée pure à proprement parler, puisque c’est précisément le processus de la pensée que l’artiste ou le philosophe écrivain doivent interrompre et transformer pour la réification matérialisante de leur œuvre. »

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne
(ramassé par François Delastre)

Juil 2017 - Lien du Post

N° 755 - La quête du ouapiti

Dimension(s) : 01 · Cheminement

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– Mmmm… joli coup ! apprécia le sénateur.

La bille venait de s’envoler très haut et le sillage de fumée rousse qu’elle venait de tracer persistait dans le ciel. Wolf laissa retomber sa canne et ils reprirent leur marche.

– Oui, dit Wolf indifférent, je suis en progrès. Si je pouvais m’entraîner…

– Personne ne vous en empêche, dit le sénateur Dupont.

– De toute façon, répondit Wolf, il y aura toujours des gens qui joueront mieux que moi. Alors ? À quoi bon ?

– Ça ne fait rien, dit le sénateur. C’est un jeu.

– Justement, dit Wolf, puisque c’est un jeu, il faut être le premier. Sans ça, c’est idiot et c’est tout. Oh ! et puis ça fait quinze ans que je joue au plouk… tu penses comme ça m’excite encore…

La petite voiture brinquebalait derrière le sénateur et profita d’une légère déclivité pour venir lui cogner le derrière avec sournoiserie. Le sénateur se lamenta.

– Quel supplice ! gémit-il. J’aurai le cul pelé avant une heure !…

– Ne sois pas douillet comme ça, dit Wolf.

– Enfin, dit le sénateur, à mon âge ! C’est humiliant !

– Ça te fait du bien de te promener un peu, dit Wolf, je t’assure.

– Quel bien peut me faire une chose qui m’assomme ? dit le sénateur.

– Mais tout est assommant, dit Wolf, et on fait des choses quand même…

– Oh ! vous, dit le sénateur, sous prétexte que rien ne vous amuse, vous croyez que tout le monde est dégoûté de tout.

– Bon, dit Wolf, en ce moment, de quoi as-tu envie ?

– Et si on vous posait la même question, grommela le sénateur, vous seriez bien en peine de répondre, hein ?

Effectivement, Wolf ne répondit pas tout de suite. Il balançait sa canne et s’amusait à décapiter des tiges de pétoufle grimaçant qui croissaient çà et là sur le terrain à ploukir. De chaque tige coupée sortait un jet gluant de sève noire qui se gonflait en un petit ballon noir à monogramme d’or.

– Je ne serais pas en peine, dit Wolf. Je te dirais simplement que plus rien ne me fait envie.

– C’est nouveau, ricana le sénateur, et la machine ?

– Ça serait plutôt une solution désespérée, railla Wolf à son tour.

– Allons, dit le sénateur, vous n’avez pas tout essayé.

– C’est vrai, dit Wolf. Pas encore. Mais ça va venir. Il faut d’abord une vue claire des choses. Tout ça ne me dit pas de quoi tu as envie.

Le sénateur devenait grave.

– Vous ne vous moquerez pas de moi ? demanda-t-il.

Les coins de son museau étaient humides et frémissants.

– Absolument pas, dit Wolf. Si je savais que quelqu’un a vraiment envie de quelque chose, ça me remonterait le moral.

– Depuis que j’ai trois mois, dit le sénateur d’un ton confidentiel, je voudrais un ouapiti.

– Un ouapiti, répéta Wolf absent.

Et il reprit aussitôt :

– Un ouapiti !…

Le sénateur reprit courage. Sa voix s’affermit.

– Ça au moins, expliqua-t-il, c’est une envie précise et bien définie. Un ouapiti, c’est vert, ça a des piquants ronds et ça fait plop quand on le jette à l’eau. Enfin… pour moi… un ouapiti est comme ça.

– Et c’est ça que tu veux ?

– Oui, dit le sénateur fièrement. Et j’ai un but dans ma vie et je suis heureux comme ça. Je veux dire, je serais heureux sans cette saloperie de petite voiture.

Wolf fit quelques pas en reniflant et cessa de décapiter les pétoufles. Il s’arrêta.

– Bon, dit-il. Je vais t’enlever la voiture et on va aller chercher un ouapiti. Tu verras si ça change quoi que ce soit d’avoir ce qu’on veut.

Le sénateur s’arrêta et hennit de saisissement.

– Quoi ? dit-il. Vous feriez ça ?

– Je te le dis…

– Sans blague, haleta le sénateur. Faut pas donner un espoir comme ça à un vieux chien fatigué…

– Tu as la veine d’avoir envie de quelque chose, dit Wolf, je vais t’aider, c’est normal…

– Nom d’une pipe ! dit le sénateur, c’est ce qu’on appelle de la métaphysique amusante, dans le catéchisme.

Pour la seconde fois, Wolf se baissa et libéra le sénateur. Gardant une canne à ploukir, il laissa les autres dans la voiture. Personne n’y toucherait car le code moral du plouk est particulièrement sévère.

– En route, dit-il. Pour le ouapiti, il faut marcher courbés et vers l’est.

– Même en vous courbant, dit Dupont, vous serez encore plus grand que moi. Donc, je reste debout.

Ils partirent, humant le sol avec précaution. La brise agitait le ciel dont le ventre argenté et mouvant s’abaissait parfois à caresser les grandes ombelles bleues des cardavoines de mai, encore en fleur et dont l’odeur poivrée tremblait dans l’air tiède

[…]

Le sénateur Dupont allongeait le pas car Wolf marchait vite ; et si le sénateur avait quatre pattes, celles de Wolf étaient en nombre deux fois inférieur, mais chacune trois fois plus longue ; d’où la nécessité où se trouvait le sénateur de tirer la langue de temps en temps et de faire han ! han ! pour manifester sa fatigue.

Maintenant le sol était rocailleux et couvert d’une mousse dure pleine de petites fleurs comme des boules de cire parfumée. Des insectes volaient entre les tiges, éventrant les fleurs à coups de mandibules pour boire la liqueur de l’intérieur. Le sénateur n’arrêtait pas d’avaler de croquantes bestioles et sursautait chaque fois. Wolf allait à grandes enjambées, à la main sa canne à ploukir, et ses yeux scrutaient les alentours avec le soin qu’ils eussent apporté à déchiffrer Le Kalevala dans le texte. Il entremêlait ce qu’il voyait avec de choses déjà dans sa tête, cherchant à quel endroit la jolie figure de Lil se posait le mieux. Une ou deux fois même, il tenta d’incorporer au paysage l’effigie de Folavril, mais une honte à demi formulée lui fit éliminer ce montage. Faisant un effort, il réussit à se concentrer sur l’idée du ouapiti.

À des indices variés, tels que crottes en spirales et rubans de machine à écrire mal digérés, il reconnaissait d’ailleurs la proximité de l’animal et ordonna au sénateur, vivement ému, de garder son calme.

– On va en trouver un ? souffla Dupont.

– Naturellement, répondit Wolf tout bas. Et maintenant, pas de blagues. À plat ventre tous les deux.

Il se colla au sol et avança au ralenti. Le sénateur grommelait « ça me racle entre les cuisses » mais Wolf lui imposa le silence. À trois mètres, il aperçut brusquement ce qu’il cherchait : une grosse pierre aux trois quarts enterrée, percée en son sommet d’un petit trou carré parfait, qui s’ouvrait dans sa direction. Il l’atteignit, saisit sa canne et cogna trois coups sur la pierre.

– Au quatrième top, il sera exactement l’heure !… dit-il en imitant la voix du Monsieur.

Il donna le quatrième top. À la même seconde, le ouapiti affolé sortit du trou avec de grandes contorsions.

– Grâce, Monseigneur ! gémit-il. Je rendrai les diamants. Parole de gentilhomme !… Je n’ai rien fait !… Je vous l’assure…

L’œil luisant de convoitise du sénateur Dupont le regardait en se léchant les babines si l’on ose dire. Wolf s’assit et dévisagea le ouapiti.

– Je t’ai eu, dit-il. Il n’est que cinq heures et demie. Tu vas venir avec nous.

– Zut, zut et zut ! protesta le ouapiti. Ça ne va pas du tout. C’est pas du jeu.

– S’il avait été vingt heures douze, dit Wolf, et si nous nous étions trouvés là, tu étais fait de toute façon.

– Vous profitez de ce qu’un ancêtre a trahi, dit le ouapiti. C’est lâche. Vous savez bien que nous sommes d’une terrible susceptibilité horaire.

– Ce n’est pas une raison dont tu peux exciper, dit Wolf pour l’impressionner par un langage adéquat.

– Bon, je viens, dit le ouapiti. Mais gardez à distance cette brute à l’œil torve qui semble me vouloir meurtrir dans l’instant.

Les moustaches hirsutes du sénateur se mirent à pendre.

– Mais…, bredouilla-t-il. Je suis venu avec les meilleures intentions du monde…

– Que m’importe le monde ! dit le ouapiti.

– Tu feras des tartines ? demanda Wolf.

– Je suis votre prisonnier, Monsieur, dit le ouapiti et je m’en remets à votre bon vouloir.

– Parfait, dit Wolf. Serre la main du sénateur et arrive.

Très ému, le sénateur Dupont tendit en reniflant sa grosse patte au ouapiti.

– Puis-je monter sur le dos de Monsieur ? proposa le ouapiti en désignant le sénateur.

Ce dernier acquiesça et le ouapiti, très content, s’installa sur son dos. Wolf se remit en marche en sens inverse. Bouleversé, ravi, le sénateur le suivait. Enfin, son idéal se matérialisait… il s’était réalisé… Une sérénité onctueuse lui envahit l’âme et il ne sentait plus ses pieds.

Wolf marchait tristement.

[…]

Wolf se retrouvait à son bureau, prêtant l’oreille. Au-dessus de lui, il entendait les pas impatients de Lazuli dans sa chambre. Lil devait s’occuper de la maison, pas loin de là. Wolf se sentait cerné, il avait épuisé des tas de distractions en si peu de temps qu’il ne lui restait plus d’idées, rien qu’une grande lassitude, rien que la cage d’acier ; et l’issue de la tentative contre les souvenirs paraissait douteuse maintenant.

Il se leva, mal dans sa peau, chercha Lil de pièce en pièce. Elle était agenouillée devant la caisse du sénateur dans la cuisine. Elle le regardait et ses yeux nageaient dans les larmes.

– Qu’y a-t-il ? demanda Wolf.

Entre les pattes du sénateur, le ouapiti dormait ; le sénateur bavait, l’œil tertreux et chantait des bribes de chansons inarticulées.

– C’est le sénateur, dit Lil, et sa voix se cassa.

– Qu’est-ce qu’il a ? dit Wolf.

– Je ne sais pas, dit Lil. Il ne sait plus ce qu’il dit et il ne répond pas quand on lui parle.

– Mais il a l’air content, dit Wolf. Il chante.

– On dirait qu’il est gâteux, murmura Lil.

Le sénateur remua la queue et un semblant de compréhension éclaira ses yeux l’espace d’un éclair.

– Juste ! remarqua-t-il. Je suis gâteux et j’entends le rester.

Puis il se remit à sa musique atroce.

– Tout va bien, dit Wolf. Tu sais, il est vieux.

– Il avait l’air si content d’avoir un ouapiti, répondit Lil, pleine de pleurs.

– Être satisfait ou gâteux, dit Wolf, c’est bien pareil. Quand on n’a plus envie de rien, autant être gâteux.

– Oh ! dit Lil. Mon pauvre sénateur.

– Note bien, dit Wolf, qu’il y a deux façons de ne plus avoir envie de rien : avoir ce qu’on voulait ou être découragé parce qu’on ne l’a pas.

– Mais il ne va pas rester comme cela ! dit Lil.

– Il t’a dit que si, dit Wolf. C’est la béatitude. Lui, c’est parce qu’il a ce qu’il voulait. Je crois que dans les deux cas, ça finit par l’inconscience.

– Ça me tue, dit Lil.

Le sénateur fit un ultime effort.

– Écoutez, dit-il, je vais avoir une dernière lueur. Je suis content. Vous comprenez ? Moi, je n’ai plus besoin de comprendre. C’est du contentement intégral, c’est donc végétatif, et ce seront mes paroles finales. Je reprends contact… Je reviens aux sources… du moment que je suis vivant et que je ne désire plus rien, je n’ai plus besoin d’être intelligent. J’ajoute que j’aurais dû commencer par là.

Il se lécha le nez avec gourmandise et produisit un son incongru.

– Je fonctionne, dit-il. Le reste c’est de la rigolade. Et maintenant, je rentre dans le rang. Je vous aime bien, je continuerai peut-être à vous comprendre mais je ne dirai plus rien. J’ai mon ouapiti. Trouvez le vôtre.

Boris VIAN, L’herbe Rouge
(Ramassé par Guy Desaubliaux)

Juin 2017 - Lien du Post

N° 746 - Middle Fork, Colorado

Dimension(s) : 01 · Cheminement

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« Un mois après le vol des trophées, les Logan Brothers en étaient arrivés à la conclusion qu’on les avait déménagés quelque part mais que où ? ils n’en avaient pas la moindre idée et que c’était donc à eux qu’il revenait de se bouger s’ils voulaient les retrouver.

L’Amérique est un pays assez vaste, les trophées leur avaient paru fort petits : par comparaison.

Ils avaient aussi compris qu’il ne leur suffirait pas de traînasser en ville à attendre la suite d’évènements qui risquaient très bien de ne pas se produire ; pour commencer. Et puis, que ce n’était pas comme ça qu’ils pourraient remettre la main dessus.

Et que, de toute façon, ces trophées s’étaient volatilisés pour toujours.

Les Logan Brothers avaient commencé à dresser des plans pour quitter la ville. Parce que les Logan Brothers n’avaient aucune idée de l’endroit où ils allaient se rendre mais qu’il leur fallait aller quelque part s’ils voulaient avoir une chance de les trouver.

Et la veille du jour où ils avaient décidé de partir sans pour autant savoir où ils allaient se rendre, même que n’importe où n’était pas pire qu’autre chose pour commencer, quelqu’un les avait appelés au téléphone pour leur dire qu’à son avis, les trophées ne pouvaient pas être ailleurs qu’à Middle Fork, Colorado.

Le Logan Brother qui avait décroché lui avait aussitôt dit merci.

Sur quoi, ils avaient aussitôt déplié une carte pour voir où c’était, Middle Fork, Colorado. C’était à plus de quinze cents kilomètres de là : dans les Rocheuses. Ils avaient passé un bon bout de temps à contempler la carte en silence.

Jusqu’à ce que l’un d’eux déclare :

– C’est toujours un commencement. »

Richard Brautigan, Willard et ses trophées de bowling.
(ramassé grâce à Baptiste Fertillet).

Déc 2016 - Lien du Post

N° 749 - Le courage d’une idée

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« Captain Penderton was also something of a savant. During the years when he was a young Lieutenant and a bachelor he had had much opportunity to read, as his fellow officers tended to avoid his room in the bachelors’ quarters or else to visit him in pairs or groups. His head was filled with statistics and information of scholarly exactitude. For instance, he could describe in detail the curious digestive apparatus of a lobster or the life history of a trilobite. He spoke and wrote three languages gracefully. He knew something of astronomy and had read much poetry. But in spite of his knowledge of many separate facts, the Captain never in his life had had an idea in his head. For the formation of an idea involves the fusion of two or more known facts. And this the Captain had not the courage to do. »

Carson McCullers, Reflections in a Golden Eye.

Nov 2016 - Lien du Post

N° 745 - Le Flacon Bleu

« Beck était tombé par hasard sur la vieille jeep un mois plus tôt, avant que Craig se joigne à lui. Elle faisait partie des épaves de la Première Invasion industrielle de Mars qui s’était terminée lorsque la course aux étoiles s’était poursuivie. Il avait réparé le véhicule qui le menait de ville morte en ville morte, traversant les terres des oisifs et des hommes à tout faire, des rêveurs et des fainéants, d’hommes pris dans les remous de l’espace, des hommes comme lui-même et Craig qui n’avaient jamais voulu faire grand-chose et avaient trouvé Mars pour ce faire.

– Il y a cinq mille, dix mille ans, les Martiens ont fait le Flacon Bleu, dit Beck. Soufflé dans du verre martien — perdu et retrouvé, perdu et retrouvé, encore et encore.

Il regarda fixement le brouillard de chaleur qui faisait vaciller la ville morte. Toute ma vie, pensa Beck, je n’ai rien fait, et rien à l’intérieur de ce rien. D’autres, des hommes meilleurs, ont fait de grandes choses, sont allés sur Mercure, ou Vénus, ou au-delà du Système. Sauf moi. Pas moi. Mais le Flacon Bleu peut changer tout ça. »

« Beck termina sa pièce et s’apprêta à occuper la suivante. Il avait presque peur de continuer. Peur que cette fois il le trouve, que la quête finisse, et que sa vie n’ait plus de sens. C’est seulement après avoir entendu parler du Flacon Bleu par des voyageurs venant de Vénus, dix ans auparavant, que la vie avait commencé d’avoir un but. La fièvre s’était emparé de lui et le consumait depuis. S’il s’y prenait bien, la perspective de trouver le flacon pouvait emplir sa vie entière. Encore trente ans, s’il faisait attention à ne pas trop se hâter, de recherche, sans jamais s’avouer ouvertement que ce n’était pas du tout le flacon qui comptait, mais la quête, la course et la chasse, la poussière et les cités, et l’excitation. »

Ray Bradbury, « le flacon bleu », in Bien après minuit.

Nov 2016 - Lien du Post

N° 734 - Amas, fixation & structions

« Mêlant écrits publics et écrits privés, l’acte de coucher sur le papier lui [Thomas Hirschhorn] permet de fixer ses propres questionnements sur l’art, ainsi que de répondre aux interrogations des acteurs de l’art, des institutions, des circonstances. La fixation ne pétrifie pas pour autant, elle marque au contraire les étapes d’un cheminement de pensée, le rythme de ses modifications. Elle est considérée comme dynamique. C’est, dit Thomas Hirschhorn, « à partir du moment où on est fixé qu’on peut créer une dynamique », et cela concerne autant la forme artistique que la forme textuelle. »

« Jean-Luc Nancy proposait dernièrement de contrevenir au rythme incessant des constructions/destructions/déconstructions et de considérer, en faveur d’une communue pensée, la ou les structions, c’est-à-dire ce qui est in-construit, sans architecture, en déplacement, disloqué. On supprime les préfixes. Ni « avec », ni « sans ». Renvoyant à son étymologie latine, la struction est de l’ordre de l’amas, du tas, de l’entassement, et suppose l’assemblage. La struction permet d’ouvrir un espace dans lequel la pensée peut tisser des trajets en dissolvant les antinomies constitutives. Un espace de tissage, mêlant les lignes de force et les lignes de fuite, qui renvoie au texte, dans son originarité de tissu, mettant en suspens les conventions et les choses sues, pour les réinterroger à la faveur de leur mise en relation dans l’espace réel. »

Introduction par Sally Bonn
à Une volonté de faire
de Thomas Hirschhorn

Avr 2016 - Lien du Post

N° 689 - L’ordre compliqué

Yona Friedman

 

« Nous observons, en général, des choses, mais ces choses ne sont rien d’autre que les stations d’un processus quelconque. Les choses sont des abstractions créées par notre mémoire, abstractions retenues de la séquence du processus. »

Yona Friedman
L’ordre Compliqué

(Ramassé grâce à Alix Desaubliaux)

Fév 2016 - Lien du Post

N° 707 - Le devin de la couleur

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In 1692 an artist known only as “A. Boogert” sat down to write a book in Dutch about mixing watercolors. Not only would he begin the book with a bit about the use of color in painting, but would go on to explain how to create certain hues and change the tone by adding one, two, or three parts of water. The premise sounds simple enough, but the final product is almost unfathomable in its detail and scope.

Lien vers l’intégralité de l’article par sur This is Colossal

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(ramassé par Alix Desaubliaux)

Jan 2016 - Lien du Post

N° 666 - Le Soulier de satin

Dimension(s) : 02 · Agencement

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« Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendr eun peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. »

Paul Claudel
Le Soulier de satin, acte1, scène 1

Nov 2015 - Lien du Post

N° 654 - Nanopoussières

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Man Ray,
Dust Breeding

« Évidence : les poussières tombent. Comme tout le reste. A la différence de tout le reste, les poussières tombent lentement. Très lentement on le sait et elles tombent d’autant plus lentement qu’elles sont plus petites. De taille micrométrique, soumises au hasard des collisions permanentes avec les molécules de l’air, elles errent longtemps avant que le poids par son action constante ne finisse par les projeter sur une table, un livre, le sol. Une projection de l’espace à trois dimensions sur une surface à deux dimensions après une marche erratique dans l’air. Immédiatement de la physique statistique avec notamment un modèle célèbre connu sous le nom de marche de l’ivrogne (ou marche aléatoire…). »

Lire l’article : Les poussières : des nanos à l’inframince de Marcel Duchamp

(ramassé par Nicole Caligaris)

Nov 2015 - Lien du Post

N° 644 - Moyra Davey

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Moyra Davey
« You’re a nice guy to let me hold you like this »,
exposition à greengrassi.

Dossier de presse:

greengrassi is pleased to announce Moyra Davey’s second solo exhibition at the gallery. The artist will present three ‘mailer’ pieces, one comprising 90 elements. For these methodical projects, Davey folds c-prints, addresses them and sends them by post to friends, family and collaborators around the world. The show will also include her new 28-minute film Notes on Blue (2015) commissioned by The Walker Art Center in Minneapolis. Braiding together disparate observations and personal accounts, Notes on Blue is an episodic meditation on blindness, color, and the life and work of British filmmaker, gardener and political activist Derek Jarman (1942–1994).

Moyra Davey was born in Canada in 1958 and currently lives and works in New York. Recent solo shows include MUMOK, Vienna; ICA, Philadelphia; Camden Art Centre (2014); Tate, Liverpool; Presentation House Gallery, Vancouver (2013) and Kunsthalle, Basel (2010). Her works were recently featured in ‘Photo Poetics’ at Kunsthalle, Berlin; ‘Take One: Contemporary Photographs’ at Philadelphia Museum of Art, Philadelphia (2015); ‘CODEX’ at CCA Wattis Institute for Contemporary Art, San Francisco (2014); ‘Minimal Resistance’ at Museo Reina Sofia, Madrid; ‘L’image papillon’ at MUDAM, Luxembourg (2013); XXX Bienal de Sao Paulo, Sao Paulo; Whitney Biennial, New York (2012) and ‘New Photography 2011’ at MoMA, New York (2011), among others. She was part of the collective that started the New York artist-run gallery Orchard (2005-2008). Davey is a 2004–2005 recipient of an Anonymous Was a Woman Award.

Oct 2015 - Lien du Post

N° 636 - La Finlande prête à expérimenter la fin du travail?

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

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« Une première en Europe, la Finlande veut expérimenter une forme de revenu universel. Le nouveau gouvernement de centre droit évoque une allocation de base pour tous les citoyens. Si son montant devait atteindre les 1000 euros mensuels, le travail deviendrait alors «un choix de vie». La Finlande en a peut-être les moyens mais certains hésitent devant cette révolution culturelle. »

Geopolis
pour lire l’article : http://geopolis.francetvinfo.fr/la-finlande-prete-a-experimenter-la-fin-du-travail-71493

(ramassé par Elsa E.)

Juil 2015 - Lien du Post

N° 245 - Le milieu du voyage

Dimension(s) : 01 · Cheminement

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« (Dante) « Nel mezzo del cammin di nostra vita. » : nous comprenons que ces premiers mots sont le point de départ du récit, mais cela n’est vrai que dans un sens littéraire. Le voyage proprement dit est commencé depuis longtemps. Ce début qu’on nous donne à lire se trouve déjà « au milieu du chemin de notre vie » ; c’est seulement à ce point médian que nous sommes invités à nous joindre au voyageur, après qu’il a déjà couvert une longue distance, bien avant l’ouverture du livre, à travers des paysages et des épisodes de la vie passée du poète dont Dante a préféré ne pas faire la chronique dans la Commédia. Nous entreprenons le voyage au point que la rhétorique médiévale définissait comme in media res, en plein milieu de la chose. »

« Aujourd’hui, le voyage n’a plus de destination. Il n’a plus pour but le mouvement mais l’immobilité, le séjour dans l’ici et maintenant, ou, ce qui revient au même, le passage quasi instantané d’un lieu à un autre, de telle sorte qu’il n’y a plus de traversée d’un point à un autre, ni dans l’espace ni dans le temps, ce qui ressemble beaucoup à nos habitudes de lecture. Malheureusement, de telles méthodes n’affectent pas seulement le voyage et la lecture. Elles affectent aussi nos pensées, nos fonctions réflexives, notre musculature intellectuelle. Notre faculté de penser requiert non seulement que nous soyons conscient de nous-mêmes, mais aussi que nous le soyons de notre passage dans les pages d’un livre. C’est une capacité que nous avons développées dès l’époque des tablettes de Gilgamesh, et abandonnée à l’âge de l’écran. Il nous faut désormais réapprendre à lire lentement, en profondeur, complètement, que ce soit sur papier ou sur écran : à voyager afin de revenir avec ce que nous avons lu. C’est alors seulement que nous pouvons, au sens le plus essentiel, nous qualifier de lecteur. »

Alberto Manguel, le Voyageur et la Tour

« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger. »

Robert Louis Stevenson, Voyage dans les Cévennes avec un âne.

(ramassé dans le Voyageur et la Tour)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 243 - Le code du monde

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

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« À notre connaissance, notre espèce est la seule pour qui le monde semble composé de récits. Constitués biologiquement de telle sorte que nous avons conscience de notre existence, nous traitons les identités que nous percevons de nous-mêmes et du monde qui nous entoure comme si elles exigeaient d’être littéralement déchiffrées, comme si tout ce qui existait dans l’univers était représenté dans un code que nous sommes censés lire et comprendre. Les sociétés humaines sont fondées sur l’hypothèse selon laquelle nous sommes, jusqu’à un certain point, capables de comprendre le monde dans lequel nous vivons. »

Alberto Manguel, le Voyageur et la Tour

Avr 2015 - Lien du Post

N° 214 - Cette énergie explosive

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  |  

« Il est faux de dire, avec certains post-hégéliens célèbres que l’existence concrète de l’homme c’est le travail. Le temps et la vie de l’homme ne sont pas par nature travail, ils sont plaisir, discontinuité, fête, repos, besoins, instants, hasards, violence, etc. Or, c’est cette énergie explosive qu’il faut transformer en une force de travail continue et continuellement offerte sur le marché. »

Michel Foucault

(ramassé dans Marcel Duchamp et le refus du travail, de Maurizio Lazzarato)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 232 - Le processus & Duchamp

1911-moulin

Marcel Duchamp, Moulin à café, 1911

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« Si Duchamp refuse l’injonction à être artiste – il se définit comme un « défroqué de l’art » – , il n’abandonne pas pour autant les pratiques, les protocoles, les procédures artistiques. L' »anartiste » demande un redéploiement des fonctions et des dispositifs artistiques. Il s’agit d’un positionnement subtil, incarné par un refus qui ne s’installe ni à l’extérieur, ni à l’intérieur de l’institution « art », mais à sa limite, à ses frontières, et qui, à partir de celles-ci, essaie de déplacer l’opposition dialectique art / anti-art. »

« Au possible découvert grâce au Moulin à café, Duchamp donne aussi un autre nom : « l’inframince ». L’inframince est la dimension du moléculaire, des petites perceptions, des différences infinitésimales, de la co-intelligence des contraires, au sein de laquelle les lois de la dimension macro et notamment celles de la causalité, de la logique de la non-contradiction, du langage et de ses généralisations, du temps chronologique, ne valent pas. C’est dans l’inframince que le devenir a lieu, c’est au niveau micro que se font les changements. « Le possible implique le devenir – le passage de l’un à l’autre a lieu dans l’inframince. »
Et pour avoir accès à cette dimension, la condition est toujours la même – inventer une autre manière de vivre : « l’habitant de l’inframince fainéant. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

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« J’ai peur du mot création. Au sens social, ordinaire, du mot, la création, c’est très gentil, mais au fond, je ne crois pas à la fonction créatrice de l’artiste. »

Marcel Duchamp(ramassé dans Marcel Duchamp et le refus du travail)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 229 - La paresse & Duchamp

« On ne peut plus se permettre d’être un jeune homme qui ne fait rien. Qui est-ce qui ne travaille pas ? On ne peut pas vivre sans travail, c’est quelque chose d’affreux. Je me rappelle un livre qui s’appelait le Droit à la Paresse, ce droit n’existe plus. »

« Il est honteux que nous soyons encore obligés de travailler pour vivre, (…) être obligés de travailler pour exister, ça, c’est une infamie. »

Marcel Duchamp (ramassé dans Marcel Duchamp et le refus du travail)

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« (…) la paresse n’est pas simplement un « non-agir » ou un « agir minimum ». Elle est une prise de position par rapport aux conditions d’existence imposées par le capitalisme. Elle exprime d’abord un refus subjectif qui vise le travail (salarié) et tout comportement conforme à ce que la société capitaliste attend de l’individu.
Duchamp revendique ce refus de « toutes ces petites règles qui décident que vous n’aurez pas à manger si vous ne montrez pas des signes d’une activité ou d’une production, sous une forme ou une autre. » »

« L’action capitaliste, finalisée par la production de toujours plus d’argent, n’a pas uniquement des effets économiques. Elle nous équipe d’une perception et d’une sensibilité, puisque percevoir et sentir sont fonctions de l’action.
L’action paresseuse se situe aux antipodes de cette action pour laquelle la fin, à savoir l’argent, est tout et le processus n’est rien. Ce dernier n’existe pas, littéralement, s’il ne produit pas de l’argent. La paresse, au contraire est toute concentrée sur le processus, sur le devenir de la subjectivité et de sa puissance d’agir.
« Mode : l’état actif et non le résultat – l’état actif ne donnant aucun intérêt au résultat. »
« Mode : expérience – le résultat ne devant pas être gardé – ne présentant aucun intérêt. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

Avr 2015 - Lien du Post

N° 225 - Le refus du travail de Duchamp

« Déjà, au XIXème siècle, refuser le travail, c’est refuser la normalisation du temps de la vie toute entière, envahie depuis la naissance jusqu’à la mort, par la production. L’emploi du temps, qui, justement, constituera la véritable oeuvre d’art de Duchamp, est l’objet principal du contrôle et de la disciplinarisation capitaliste. Il faut que le temps soit porté sur le marché et, échangé contre un salaire, transformé en tempo de travail. Le grand refus de Duchamp concerne cette expropriation du temps. Pas même l’art n’a le droit d’occuper et de commander les différentes temporalités de la vie. »

« Pratiquer le refus du travail dans les conditions d’exploitation contemporaines, signifie inventer de nouvelles modalités de lutte et d’organisation à même non seulement de conserver les droits hérités de luttes historiques contre le travail salarié, mais aussi et surtout, d’imposer de nouveaux droits adaptés aux nouvelles modalités d’exploitation du temps en construisant des formes de solidarités capables d’empêcher l’expropriation des savoirs et des savoir-faire et ainsi éviter que les modalités de production ne soient dictées par les nécessités de valorisation financière à laquelle n’échappent ni l’art ni les industries culturelles.
C’est à cette condition seulement que l’on pourra renouer avec la radicalité, l’impertinence, le désir de rupture qui semblent avoir été perdus ici comme ailleurs. »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

Avr 2015 - Lien du Post

N° 398 - Œuvre Insignifiante

Dimension(s) : 01 · Cheminement

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« L’œuvre insignifiante est manifestement la forme d’art la plus importante et la plus significative aujourd’hui. Il est impossible de décrire avec exactitude le sentiment esthétique généré par une œuvre insignifiante, car il varie en fonction des individus qui réalisent l’œuvre. L’œuvre insignifiante est honnête. Elle peut être appréciée ou détestée selon les intellectuels ‒ bien qu’elle soit à leur portée. Une œuvre insignifiante ne peut pas être vendu dans une galerie d’art ni recevoir le prix d’un musée ‒ quand bien même les vestiges d’œuvres insignifiantes (surtout les peintures) prennent part à de telles supercheries. Comme tout travail ordinaire, l’œuvre dépourvue de sens peut vous faire transpirer si vous la pratiquez assez longtemps. Par œuvre dépourvue de sens, j’entends simplement une œuvre qui ne vous fait pas faire ou accomplir un objet conventionnel. Déplacer des bûches d’un tas à un autre, puis les remettre à leur place et ainsi de suite, en est par exemple une très bonne illustration. Ou bien encore, creuser un trou puis le reboucher. Classer des lettres dans un trieur peut être considéré comme une œuvre dépourvue de sens à condition de ne pas être secrétaire et d’éparpiller régulièrement les dossiers sur le sol afin de n’avoir aucun sentiment d’accomplissement. Creuser un trou dans le jardin n’est pas une œuvre dépourvue de sens. D’un point de vue esthétique, soulever un poids n’est pas une œuvre dépourvue de sens, même su c’est monotone, car dans le même temps, vous vous musclez et vous en avez conscience. Il est important que la tâche déterminée ne soit pas trop agréable, de crainte que le plaisir ne devienne l’objet de l’œuvre. Ainsi le sexe, même s’il est rythmique, ne peut pas être strictement qualifié de dépourvu de sens, bien que je sois convaincu que beaucoup de gens le considèrent comme tel. Une œuvre dépourvue de sens est potentiellement l’art-action-expérience le plus important, le plus abstrait, le plus individuel, le plus stupide, le plus indéterminé, le plus surdéterminé, le plus varié que l’on puisse entreprendre aujourd’hui. Ce concept n’est pas une blague. Essayez de réaliser quelques œuvres dépourvues de sens chez vous. En fait, pour être pleinement comprise, une œuvre dépourvue de sens doit être réalisée seul(e), sinon elle risque de devenir une forme de divertissement pour les autres et les réactions de l’amateur d’art face à une œuvre dépourvue de sens ne peuvent pas être perçues en toute honnêteté. »

Walter DE MARIA, Œuvre Insignifiante

(ramassé dans Art Concep­tuel : Une Ento­lo­gie, publié sous la direc­tion de Gau­thier Herr­mann, Fabrice Rey­mond et Fabien Val­los)

Mar 2015 - Lien du Post

N° 92 - Robert Barry 01

Dimension(s) : 02 · Agencement

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QUELQUE CHOSE QUI NE SERA JAMAIS RIEN EN PARTICULIER

*

QUELQUE CHOSE QUI EST TRÈS PROCHE DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS MAIS QUI NE M’EST PAS ENCORE CONNU

*

QUELQUE CHOSE QUI EST À MA RECHERCHE ET QUI A BESOIN DE MOI POUR SE RÉVÉLER

*

QUELQUE CHOSE DONT J’AI EU UN JOUR CONSCIENCE MAIS QUE J’AI OUBLIÉ DEPUIS

*

QUELQUE CHOSE QUE JE NE CONNAIS PAS QUI A UNE INFLUENCE SUR MOI

*

QUELQUE CHOSE QUI PREND FORME DANS MON ESPRIT ET QUI PARVIENDRA PARFOIS À LA CONSCIENCE

 

 Robert Barry

(ramassé dans Art Conceptuel : Une Entologie, publié sous la direction de Gauthier Herrmann, Fabrice Reymond et Fabien Vallos)

Mar 2015 - Lien du Post

N° 568 - La maison idéale ne serait que de l’extérieur ?

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

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15_Shatzy

« C’était une sorte d’émerveillement lancinant, douloureux. […] C’est un peu comme quand on regarde les trains électriques, surtout quand il y a la maquette, avec une gare et des tunnels, des vaches dans les prés et des réverbères allumés près des passages à niveau. C’est pareil là aussi. Ou bien dans les dessins animés quand on voit la maison des souris, avec des lits dans des boîtes d’allumettes, et un cadre avec le grand-père souris accroché au mur, une bibliothèque, et une cuiller qui sert de chaise à bascule. Tu sens une sorte de consolation à l’intérieur de toi, comme une révélation, qui t’ouvre le cœur en grand, si on peut dire, mais en même temps tu sens comme une pointe, comme la sensation d’une perte irrémédiable, et définitive. Une catastrophe douce. Je crois que ça vient du fait que tu es toujours dehors, tu les regardes mais toujours de dehors. Tu ne peux pas y monter, dans le petit train, voilà l’histoire, et la maison des souris est quelque chose qui reste là-dedans, à l’intérieur de la télévision, et toi tue s irrémédiablement devant, tu la regardes et tu ne peux rien faire d’autre. Cette Maison Idéale aussi, ce jour-là, tu pouvais y entrer, si tu voulais, tu faisais un peu la queue puis tu entrais et tu visitais l’intérieur. Mais si tu faisais ça, ce n’était plus pareil. Il y avait des tas de choses intéressantes, c’était une curiosité, tu pouvais même toucher les bibelots, mais il n’y avait plus cet émerveillement de l’instant où tu l’avais vue de dehors, cette sensation-là n’existait plus. C’est un drôle de truc. Quand ça t’arrive de voir l’endroit où tu serais sauvé, c’est toujours de dehors que tu le regardes. Jamais tu n’es dedans. C’est ton endroit, mais toi, tu n’y es jamais. »

Alessandro BARRICCO, City

Fév 2015 - Lien du Post

N° 606 - N.

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

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09_Chloe

“N., c’est un endroit à côté de chez moi, c’est un tout petit ‒ ils appellent ça un port mais c’est pas un port, c’est juste un endroit où les canots rencontrent une petite route, c’est même un peu sauvage, et il y a des espèces de chalands, des petites barques comme ça et c’est un chemin… assez long, bref, c’est un point de vue, quand même un peu, je sais pas. Et c’est petit, c’est juste ‒ tu fais juste demi-tour sur le bout du chemin, en voiture, et il y a une sorte de règle tacite comme quoi ‒ bon, on la respecte de moins en moins, malheureusement ! Moi non plus je la respecte pas, mais ‒ si y’a quelqu’un, ben on t’a pris ta place, quoi, tu vois, c’est pas assez grand, et si ya des gens qui discutent à côté de toi, ça casse le truc. Tu te sens tout… tu te sens mal à l’aise, il y a un truc gênant, mais c’est peut-être juste que j’aime bien, c’est là où j’allais fumer des clopes quand j’étais encore jeune, et puis, bon, j’y retourne toujours. Et c’est juste l’absence de bruits humains qui est cool, et puis il y a des oiseaux, du soleil, des belles lumières, un paysage assez tranquille, quoi. Et là-bas j’y fais pas grand-chose non plus, enfin voilà. Avant c’était l’excuse pour fumer des clopes et donc c’est peut-être là où tu peux ne rien faire, où c’est toléré, et c’est même les situations idéales.”

Entretien avec Chloé Masson

Juin 2014 - Lien du Post

N° 455 - Personnages mosaïque

Dimension(s) : 02 · Agencement

Mots-clefs :  | | | |  

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« Un personnage que je rencontre ne créera pas automatiquement un personnage dans mon livre, mais créera peut-être un paysage dans mon livre, de même qu’un paysage entrevu fera… créera peut-être un personnage. C’est un espèce de mélange anthropomorphe, les sons produisent des couleurs, les couleurs ont produit des formes, les formes ont produit des sons… C’est une espèce de pandémonium qui n’est pas encore coagulé et qui doit être semblable j’imagine à ce qui se passe dans la chrysalide du papillon un peu avant que le papillon sorte. »

Jean GIONO

Juin 2014 - Lien du Post

N° 36 - Flaubert, in Camus

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  |  

« L’ineptie consiste à vouloir conclure »

Gustave Flaubert
Lettre du 4 septembre 1850 à Louis Bouilhet.

(ramassé dans Carnets II d’Albert Camus)

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Et pour le plaisir :

« La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. »

Lettre du 23 octobre 1865 à Mademoiselle Leroyer de Chantepie.

Jan 2014 - Lien du Post

N° 388 - La quête de la Horde

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  

« La Pragma considérait qu’une horde n’avait qu’un but : atteindre l’Extrême-Amont par tous les moyens, véhicules compris. Elle avait naturellement le soutien inconditionnel des Fréoles qui proposaient de transporter la 35ème directement au pied de Norska ! Une aberration pour moi. Aucun sens. Une Horde n’avait que la valeur de son contre, que son corps à corps au vent et à la terre. Lui retirer la Trace, c’était l’empêcher de mûrir, d’apprendre et de savoir. C’était amener en Extrême-Amont, s’il existait, une horde profane, inachevée et crétine. Qui ne saurait donc être à la hauteur de l’enjeu. »

Alain Damasio, La Horde du Contre-Vent

Juil 2013 - Lien du Post

N° 621 - Le Perleur

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

Mots-clefs :  

« Je me sens parfois comme un perleur dans un village de montagne. J’essaye de mettre ma conscience en travers de la brume qui passe, comme eux leur grillage de fer. Je prie pour que les gouttes d’eau se forment sur le métal et après j’essaye de secouer la grille, doucement, afin que ça glisse dans le chéneau. Je voudrais condenser ces instants qui bruinent, conserver – tout en restant disponible à ce qui arrive – à ce qui ne cesse d’arriver. J’ai du mal à faire circuler la vie en moi sans qu’elle s’échappe, par le trou de l’oreille ou par le trou du cul… »

Alain Damasio, La Horde du Contre-vent

Juil 2013 - Lien du Post

N° 402 - C’est le DIRE qui importe non le DIT

« Je ne voulais pas livrer le résultat d’une recherche mais écrire cette recherche elle-même en train de s’effectuer, avec ses découvertes à l’état naissant, ses ratés, ses fausses pistes, son élaboration tâtonnante d’une méthode, jamais achevée. Conscient que, « quand tout aura été dit, tout reste encore à dire, toujours tout restera encore à dire » ‒ autrement dit : c’est le DIRE qui importe non le DIT ‒ ce que j’avais écrit m’intéressait beaucoup moins que ce que je pourrai écrire ensuite. Je pense que cela est vrai pour tout écriveur / écrivain. »

André GORZ, Lettre à D.

Juin 2013 - Lien du Post

N° 386 - Joubert

08_Joubert

« C’est précisément au cours de sa quête des conditions optimales qui lui auraient permis d’écrire que Joubert tomba sur un lieu enchanteur, idéal pour s’égarer et finir par ne pas écrire le moindre livre. Il ne fut pas loin de prendre racine dans cette quête. Il se trouve justement que, pour le dire avec Blanchot, ce qu’il recherchait, cette source d’écriture, cet espace où pouvoir écrire, cette lumière qu’il rêvait circonscrite dans cet espace, exigea de lui et affirma en lui toutes sortes de dispositions qui devaient le rendre inapte à un quelconque travail littéraire, ou l’en détourner.

Joubert apparaît en cela comme l’un des écrivains véritablement modernes, choisissant le centre plutôt que la sphère, sacrifiant les résultats à la découverte de leurs conditions, renonçant à écrire un livre après l’autre et préférant prendre possession de ce point d’où il lui semblait que naissaient les et qui, une fois atteint, le dispenserait de les écrire. »

Enrique Vila-Matas, Bartleby et Compagnie

Avr 2013 - Lien du Post

N° 211 - Don Quichotte

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  | |  

« Pour Juan José Saer, don Quichotte est un héro épique parce que peu lui importe que sa mission de justice connaisse l’échec ou la réussite. « C’est là le point essentiel à retenir, dit Saer : que, dans toute entreprise humaine, la conscience claire ou voilée du caractère inéluctable de l’échec est fondamentalement opposée à la morale de l’épopée. » À comparer avec cette observation de Stevenson : « Notre mission dans la vie n’est pas de réussir, mais de continuer à échouer sans perdre le moral. »

Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

Oct 2012 - Lien du Post

N° 209 - Tout lieu est imaginaire

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

Mots-clefs :  

« [Sarduy] pensait que même les lieux où nous vivons sont modifiés par nos préjugés, nos caprices, notre expérience limitée, par le fait que nous passons par tel chemin et non par tel autre pour aller de chez nous à la boulangerie ou que nous choisissions tel café, tel parc, telle épicerie dans la multiplicité de sites qui composent une ville donnée. En ce sens, tout lieu est imaginaire. »

Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

Oct 2012 - Lien du Post

N° 482 - C’est quoi ?

Dimension(s) : 02 · Agencement

Mots-clefs :  |  

“C’est pas du théâtre, c’est pas du rock, c’est pas de la musique, c’est pas les lettres, c’est pas du cinéma, c’est pas les arts plastiques, c’est pas les arts du cirque, c’est pas l’art vidéo, c’est pas les arts de la scène, c’est pas une chorégraphie, c’est pas de la performance, c’est pas du dessin, c’est pas un récital, c’est pas les comédiens, c’est pas une exposition, c’est pas des projections C’est quoi? c’est pas tout ça à la fois C’est quoi?”

Jérôme GAME, Ce que l’Art contemporain fait à la Littérature

Oct 2012 - Lien du Post

N° 194 - Athènes

« Contradiction dans le monde moderne. À Athènes, le peuple ne pouvait vraiment exercer son pouvoir que parce qu’il y consacrait la plus grande partie de son temps et des esclaves, tout le jour, faisaient les travaux qui restaient à faire. À partir du moment où l’esclavage est supprimé, on met tout le monde au travail. Et c’est à l’époque où la prolétarisation de l’Européen est le plus avancée que l’idéal de souveraineté populaire se fait le plus fort : cela est impossible. »

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

Sep 2012 - Lien du Post

N° 187 - De l’indignité du travail

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  |  

« On parle beaucoup en ce moment de la dignité du travail, de sa nécessité. M. Gignoux, en particulie, a des opinions très précises sur la question…

Mais c’est une duperie. Il n’a de dignité du travail que dans le travail librement accepté. seule l’oisiveté est une valeur morale parce qu’elle peut servir à juger les hommes. Elle n’est fatale qu’aux médiocres. C’est sa leçon et sa grandeur. Le travail au contraire écrase également les hommes. Il ne fonde pas un jugement. Il met en action une métaphysique de l’humiliation. Les meilleurs ne lui survivent pas sous la forme d’esclavage que la société des bien-pensants actuellement lui donne…

Je propose qu’on renverse la formule classique et qu’on fasse du travail un fruit de l’oisiveté. Il y a une dignité du travail dans les petits tonneaux faits le dimanche. Ici le travail rejoint le jeu et le jeu plié à la technique atteint l’œuvre d’art et la création toute entière.

J’en sais qui s’extasient et s’indignent. Eh! quoi, mes ouvriers gagnent quarante francs par jour…

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

Sep 2012 - Lien du Post

N° 197 - Suis-je un paresseux ?

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  | | |  

« J’ai vécu jusqu’à ces jours derniers avec l’idée qu’il fallait faire quelque chose dans la vie et plus précisément que, pauvre, il fallait gagner sa vie, avoir une situation, s’installer. Et il faut croire que cette idée, que je n’ose encore appeler préjugé, était bien enracinée en moi, puisqu’elle durait malgré mes ironies et mes paroles définitives à ce sujet. Et là, une fois nommé à Bel-Abbès, devant ce qu’avait de définitif une semblable installation, tout a soudain reflué. Je me suis refusé à cela, comptant pour rien sans doute ma sécurité au regard de mes chances de vraie vie. J’ai reculé devant le morne et l’engourdissant de cette existence. Si j’avais dépassé les premiers jours j’aurais certainement consenti. Mais là était le danger. J’ai eu peur, peur de la solitude et du définitif. D’avoir rejeté cette vie, de m’être fermé tout ce qu’on appelle « l’avenir », de rester encore dans l’incertitude et la pauvreté, je ne saurais pas dire aujourd’hui si ce fut force ou faiblesse. Mais je sais du moins que, si conflit il y a, c’est pour quelque chose qui en valait la peine. À moins qu’à bien voir… Non. Ce qui m’a fait fuir, c’était sans doute moins de me sentir installé que de me sentir installé dans quelque chose de laid.

Maintenant, suis-je capable de ce que les autres appellent le « sérieux » ? Suis-je un paresseux ? Je ne crois pas et je m’en suis donné des preuves. Mais a-t-on le droit de refuser la peine sous prétexte qu’elle ne vous plaît pas? Je pense que l’oisiveté ne désagrège que ceux qui manquent de tempérament. Et si j’en manquais, il ne me resterait qu’une solution. »

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

Sep 2012 - Lien du Post

N° 390 - Quelques règles pour bien quêter

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  |  

« – Chevalier harassé de sommeil et de soucis, dites-moi si vous avez vu une bête étrange passer par-là.

– Certes, répondit le roi, mais elle est partie dans la forêt. Pourquoi vous intéressez-vous à cette bête ?

– Messires, répondit le chevalier, elle est l’objet de ma quête. Il y a trop longtemps que je la suis, et j’ai tué mon cheval. Plût à Dieu que j’en trouve un autre pour poursuivre ma quête.

[…]

– Il y a douze mois que entrepris ma quête, dit-il, il faut que je la poursuive.

– Sure chevalier, dit Arthur, confiez-la moi et je la poursuivrai encore douze mois, car j’ai besoin de ce genre de choses pour écarter les nuages qui assombrissent mon cœur.

– Vous demandez une chose insensée, répliqua le chevalier. C’est ma quête, je ne peux la transmettre à quiconque, excepté mon plus proche parent. »

 

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« Vous ne pouvez pas savoir comment une aventure commence, dit [Merlin]. La grandeur naît petite. Ne déshonorez pas votre fête en ignorant ce qui s’y passe. Telle est la loi de la quête. »

John Steinbeck, Le roi Arthur et ses Preux Chevaliers

Août 2012 - Lien du Post

N° 427 - Définition de l’agencement

« Qu’est-ce qu’un agencement ? C’est une multiplicité qui comporte beaucoup de termes hétérogènes, et qui établit des liaisons, des relations entre eux, à travers des âges, des sexes, des règnes ‒ des natures différentes. Aussi la seule unité de l’agencement est de co-fonctionnement : c’est une symbiose, une “sympathie”. Ce qui est important, ce ne sont jamais les filiations, mais les alliances et les mariages ; ce ne sont pas les hérédités mais les contagions, les épidémies, les vents. »

Gilles DELEUZE & Claire PARNET, Dialogues

Juin 2012 - Lien du Post

N° 424 - Bibliothèque et pensée

Dimension(s) : 02 · Agencement

Mots-clefs :  | |  

« Ma bibliothèque n’a pas de catalogue ; ayant rangé moi-même les livres sur les étagères, je revois en général leur emplacement si je me remémore le plan de la bibliothèque et les zones de lumière et d’ombre n’entravent guère cette exploration. L’ordre remémoré suit un schéma dans mon esprit, la forme et les divisions de la bibliothèque, un peu à la façon dont un observateur des étoiles réunit en figures narratives les minuscules points lumineux ; mais, à son tour, la bibliothèque reflète la configuration de mon esprit, son lointain astronome. »

Alberto MANGUEL, La Bibliothèque, la nuit

Mar 2012 - Lien du Post

N° 124 - Les listes de Carroll

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« Carroll avait observé que la majorité sinon la totalité des livres partent d’un argument préalable auquel l’écrivain ajoute ensuite les détails ; il résolut d’inverser le procédé et de noter les épisodes que ses journées et ses rêves lui proposaient et de les ordonner ensuite. Il consacra dix longues années à forger ces éléments hétérogènes dont l’ensemble lui donna, dit-il, une claire et accablante notion de ce que représente le mot chaos. C’est à peine s’il voulut intervenir dans son œuvre en ajoutant quelques phrases requises par la nécessité de lier le tout. Noircir un nombre déterminé de pages avec un sujet et des développements, cela lui semblait une servitude à laquelle il n’avait pas à se soumettre, puisqu’il n’attachait d’importance ni à la renommée ni à l’argent. »

Jorge Luis BORGES, Livre des Préfaces

Juil 2011 - Lien du Post

N° 161 - Ce n’est pas de la paresse

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  |  

« Regardons les choses en face : j’étais un enfant qui détestait accomplir sa part de corvées. J’essayais de garder la plus grande distance entre moi et le travail. Je ne crois pas avoir été paresseux, vu que je faisais beaucoup d’autres choses, mais c’était toujours des choses que j’avais envie de faire, et je m’efforçais de ne pas transiger sur mes valeurs. »

Richard Brautigan, Mémoires sauvées du vent.

Juil 2011 - Lien du Post

N° 610 - Le Fainéant

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  | | |  

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« Puis il y a l’autre fainéant, le fainéant bien malgré lui, qui est rongé intérieurement par un grand désir d’action, qui ne fait rien, parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire, puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qui lui faudrait pour être productif, parce que la fatalité des circonstances le réduit à ce point, un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire, mais il sent par instinct : pourtant je suis bon à quelque chose, je me sens une raison d’être! Je sens que je pourrais être un tout autre homme! À quoi donc pourrais-je être utile, à quoi pourrais-je servir! Il y a quelque chose au dedans de moi, qu’est-ce que c’est donc ? »

Vincent VAN GOGH, Lettres à son frère Théo.

Juin 2011 - Lien du Post

N° 164 - The Eleventh Hour

Dimension(s) : 02 · Agencement

Mots-clefs :  |  

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Docteur : C’est difficile, je suis un nouveau moi, rien ne fonctionne mais il y a un détail qui m’échappe… quelque chose que l’on distingue à peine… du coin de l’œil.

[…]

Policière : Je ne vois rien mais…

Docteur : Et du coin de l’œil ?

Policière (effrayée) : C’est quoi ?

Docteur : N’essayez pas de le voir, s’il sait que vous l’avez vu, il vous tuera. Ne le regardez pas. Surtout ne le regardez pas !

Docteur Who – Saison 5 épisode 01 – The 11th Hour

Avr 2010 - Lien du Post

N° 751 - La Nuit sera belle

La Nuit sera belle est la dernière cristallisation de cet échafaudage, qui s’est transformé en roman à part entière aux éditions Actes Sud. On y parle entre autres de pêche, de pages blanches, de quête, de mouettes ou de goélands, de monolithe, de poisson-lune, de cuisine et même de dragons. Il sort le 5 avril 2017.

Le mot de l’éditeur :
Arek, Ivan, Todd C. Douglas : trois amis, toute une nuit, dans un appartement en forme de pagode inversée. Demain, c’est sûr, ils partent enfin en expédition. Quelque part — la destination ne semble pas encore bien arrêtée. En attendant, ils boivent du thé, de la bière, du vin et du whisky mais chaque chose en son temps. Ils tentent d’échapper au but à tout prix. Ils font beaucoup plus que ce qu’ils croient et beaucoup moins que ce qu’ils disent. Mais qu’est-ce que « faire » ? Et qu’est-ce que l’oisiveté (à ne surtout pas confondre avec la paresse) ? Comment trouver le temps et l’espace pour faire sans produire, ou pour chercher sans faire ? Comment se fait-il que l’on ne puisse pas vivre sans que le travail devienne la vie ? Une recherche sans certitude de trouver, est-ce un travail ? Tels sont les thèmes abordés au fil d’une nuit de contagieuse ivresse dans ce premier roman aussi profond que jubilatoire.

Mar 2017 - Lien du post

N° 702 - Pensée-parasite

J’ai une pensée-parasite.
Tique,
une pensée-tique.
À mandibules.
Derrière le pavillon de l’oreille.
Là où c’est nu,
nu et vide et vulnérable.
Découvert.
Elle a planté deux crocs. Avides.

La pensée-tique m’a incisé la boîte crânienne, là, cachée, derrière. Je tourne la tête et elle est toujours là, derrière les yeux, le crâne, le corps. Je ne vois pas la pensée-tique. Je ne la connais pas. Je ne sais rien de mon parasite, mais il m’aliène, je suis enchâssée dans ses échos, ma pensée-tique est une corde à nœuds qu’il faut que j’escalade, elle est pleine de nœuds, il faut gravir, nœud par nœud, tous les nœuds, pour arriver en haut, tout en haut de la corde, tout en haut des nœuds, mais ce là-haut, ce tout là-haut, je ne le vois pas.

C’est une grande chose, ma pensée-tique, une grande chose inconnue, énorme, c’est énorme la pensée-tique, elle me hante, j’en ai soif et ça brûle, ça brûle toutes les autres pensées, ça envahit tout et ça brouille, ça brouille toutes mes ondes. Ça grésille sur mes réseaux, ça sature, ça crachote, ça me rappelle, ça me rappelle ce qu’il faut que je fasse, ça me rappelle, il faut faire, mais quoi ? Il faut dire, mais quoi ?

Ma pensée-tique pompe, pompe, elle pompe tous mes flux, tout, tout ce qui passe elle le pompe, elle pompe et ça irrite. Ça démange, c’est fou comme ça démange, c’est imperceptible comme ça démange, mais ça démange là, partout et tout le temps, ça démange et quand je gratte, ça saigne, ça s’écartèle, ça se démembre, ça arrache le corps du parasite enflé de sang et de bile et de flux et ça se désintègre et ça s’épanche et ça s’écoule, ça coule du pus de flux, fermenté, gâté, pourri, ça suinte et ça ruisselle mais la tête, elle reste là, toujours insérée là, dans le tendre, le nu, là et le corps repousse, il repousse encore plus dru et plus fort et plus tenace, ça ne se cure pas, ne se récure pas, c’est incrusté, là, juste là.

Il faut accomplir la pensée-tique, la mettre bas, se l’expulser, se la purger, se l’exorciser, il faut l’apprivoiser, la pensée-tique, l’approcher, l’effleurer, d’abord, la tâter, la toucher du bout du doigt, du bout du bout du doigt, l’attirer sur le devant du visage, lui faire faire le tour de l’oreille, la faire grimper au beau milieu du front, en plein les narines, au centre de la prunelle, dans les vibrisses, les sinus, la cornée, la glotte, les muqueuses,
partout,
partout,
dans tous les trous.

J’appelle,
j’invoque,
j’appâte,
j’avale ma pensée-parasite.
Je digère ma pensée-parasite.
J’amalgame ma pensée-parasite.
Je pense à ma pensée-parasite, je me regarde penser à la pensée-parasite, je suis parasitée par la pensée de ma pensée-parasite, je parasite ma pensée, je suis ma pensée-parasite, je suis la pensée-parasite de ma pensée-parasite, je suis derrière l’oreille de ma pensée-parasite, je suis derrière mon oreille, je suis derrière derrière mon oreille, je pompe ma pensée-parasite, je pompe ma pensée, je pompe, je m’autopompe, je m’auto-pense, je m’auto-parasite, je suis le parasite.

Je vomis.

Jan 2016 - Lien du post

N° 669 - Le Héron sur le Post-it

Dimension(s) : 01 · Cheminement, 02 · Agencement

Mots-clefs :  | |  

J’ai un héron sur le mur.
Son nom est rouge
sur le jaune moche d’un Post-it.
 
Au-dessus du bureau,
ils sont pleins, les Post-it.
Mosaïque de carrés jaunes
sur fond blanc.
 
Format idéal  ̶  10 x 10.
Pas le temps d’être trop long.
Important : ne pas s’étaler.
Sur le Post-it, on filtre les mots.
Ne restent que ceux juste assez entrebâillés
pour ne pas laisser entrer n’importe quoi.
Les phrases sont trop dangereuses.
 
Le mur répertorie les pensées.
Grand garde-manger.
On y voit tous les ingrédients en même temps.
Les Post-it se connectent et les recettes apparaissent.
Petit à petit.
 
Boîte à outils.
Les petits rouages des lettres s’emboîtent.
Leurs mécaniques meublent l’espace blanc.
Celui qui noue la gorge quand on y perd les yeux.
Quand il y a quelque chose à faire
mais que les doigts collent
ou que la paresse est de trop bonne humeur
ce jour-là.
 
J’ai un héron sur le mur.
Tout seul.
Pas d’emplacement dans le puzzle.
Les dents de son engrenage n’accrochent pas.
Il hypnotise en roue libre,
sa révolution ne mène à rien.
Je l’ai collé sur le mur
pour qu’il arrête de me coller à la pensée.
Ça n’a fait que déplacer le problème.
Mais maintenant,
il me regarde dans les yeux.
J’ai un héron sur le mur,
il parasite le reste.
Il fait son intéressant
de toute sa hauteur d’échassier.
Il sait, lui, pourquoi il est ici.
Il connaît le secret,
il voit la chaîne de pensées à venir.
Le chemin vers lui
qui n’existe pas encore.
 
Arrivé en avance.
Il a grillé son tour.
Il n’était pas écrit
dans le plan de départ.
Il pourrait tout détraquer.
Ouvrir un autre chemin,
bien plus loin que prévu.
On ne sait jamais jusqu’où volent les hérons.
 
J’ai un héron sur le mur,
il ne bouge pas plus qu’un vrai.
Planté là.
Dans les champs aussi
Les hérons ont toujours l’air empaillés.
Ils font semblant de ne pas exister.
Guettent d’un air de rien,
depuis tout le dédain de leur tranquillité.
Gris clair sur cours d’eau boueux,
le héron se prend
pour un pli du paysage.
Pas plus épais qu’une parenthèse.
Ne ressort que le cure-dent de son bec.
Ne bouge pas.
Pas même d’un frémissement
de brise trop fraîche
sous le duvet.
 
Et soudain,
il se tend,
claque le cou,
projette la tête,
plonge,
plonge le bec,
 
 
il éperonne le poisson.
 
Sur mon mur,
le héron chuchote.
Utilise ton bec,
il me dit le héron.
Fais la flèche.
Pique, pique,
il me dit.
Observe  ̶  et attends.
Laisse approcher
la pensée.
Fais-toi oublier.
Les mots doivent être ferrés
frais et vifs.
J’ai un héron sur le mur.
Il se fout de moi,
trop émoussée.
Je n’attrape rien.
Du héron,
je n’ai pêché que le stoïcisme.
 
Mon stoïcisme à moi
est d’une autre espèce,
aux racines bovines.
Il regarde passer les idées
comme la vache suit du regard
les trains.
J’ai un héron sur le mur,
depuis maintenant des mois.
 
Je le contemple en ruminant béatement
quelques touffes de Post-it
digérées et régurgitées
au moins trois estomacs de cela.

Oct 2015 - Lien du post

N° 202 - Ça s’amorce

Ça s’amorce,
Ça s’amorce derrière l’oreille.
Ça s’amorce,
Ça se fera tout seul.
Rien précipiter.
Ne rien chercher.
Laisser venir.
Il ne faut pas que la langue se crispe,
il ne faut pas que la langue se crispe,
derrière les dents. Où ça s’irrite.
Ça brûle et ça enfle
et ça prend tout l’espace dont on avait besoin.
La laisser souple, la langue, la laisser souple.
Laisser siffler l’espace,
laisser siffler l’espace entre,
entre les dents de devant.
Sans début
et sans fin.
Entre. Le Milieu. L’entre-deux.
De la tranche, de la couche,
fractionnable, infiniment.
Kaléidoscope
de cils humides
entrouverts,
l’entre-deux paupières.
Le vide qui dessine les sympathies,
la cerne qui frôle le contour,
laisser affleurer,
laisser l’amorphe gonfler,
les possibles lever.
La pâte ne se brusque pas.
Ronronnement derrière de son,
interstice de strates,
annulation de sinusoïdes.
Tempo battant.
Tempo battant.
Sous les frênes, sans les frênes, sous les frênes,
entre les branches,
poils de chatons dans les cheveux,
boules de gratons en bas du jean.
Le petit bruit du sable
quand la tête est sous l’eau.
Reflet du fond de piscine.
Ça s’irise et ça moire.
Ne pas fixer les reflets,
jamais, jamais dans les yeux.
Laisser filer l’écho,
laisser filer,
l’écho qui sans vide meurt,
l’écho qui ne naît que dans le creux,
quand on passe du concave au convexe.
Ça s’emboîte, sans dessiner.
Il faut laisser saliver,
Laisser passer les murmures,
les murmures entre les choses,
les murmures d’entre les mots.
L’obsession du vent :
le vent se glisse entre,
il siffle le vide,
il siffle,
s’il est assez léger.
Le vent est infini,
l’infini des possibles,
refuser le choix,
le refuser,
ne pas faire, pour laisser entrevoir
tout ce qui pourrait être fait.
Préférer ne pas, bien sûr,
l’ennui n’existe que chez ceux
qui voudraient faire ou avoir fait.
La misère pousse en rhizome,
c’est une mauvaise herbe
aux toutes petites fleurs rouges
qui ne prolifère
que si l’on en bouture le bon bout.
Les mailles du réseau ne se dessinent
que grâce à l’existence des trous du filet.
Pas de trous, pas de mailles.
Essaimer, laisser contaminer,
imprégner influer.
Laisser la bouteille
pour en récolter la lie,
mi fluide mi solide.
Ne pas entraver le flux,
le flux de rien qui filtre
entre les pores.
Les pores de la peau.
La porosité, le trou de l’éponge,
le coin de l’œil, celui qui voit l’espace-entre,
le trois-quarts dos.
L’angle mort du derrière de la tête.
Le laisser cohabiter,
l’espace-entre,
ne pas le corrompre,
ne pas le tordre, ne pas le mordre,
ne pas le toucher.
L’espace-entre suffit.
L’entre-temps de l’espace-entre.
L’entre-temps
de la suspension sans point.

Avr 2015 - Lien du post

N° 536 - Tant pis, ouais.

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

Mots-clefs :  | | |  

Tant pis pour le banc du bout du jardin,
celui qui laisse des petites échardes de peinture blanche sous l’ongle.
Tant pis pour le pin au-dessus du banc,
celui qui fait des petites boules de résine molles puis dures puis molles entre les doigts.
Tant pis pour la mer en face du banc,
et tant pis pour les bruits de fine cloche des haubans contre les mâts qui balancent.
Tant pis pour l’odeur des ajoncs.
Tant pis pour les pommes de pins et leurs pignons qui laissent de la poussière noire au bout des mains.
Tant pis pour les serpents du cou des cormorans avant qu’ils ne plongent.
Tant pis pour le banc du bout du jardin.
Si on devait s’y rassoir,
ce ne serait jamais aussi bien que dans le souvenir
et l’image de ce moins bien surimposerait la pellicule dans la mémoire

Avr 2015 - Lien du post

N° 352 - Final Girl

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  |  

logosoundcloud

Final Girl est un groupe fondé en 2012 par Lou & Apou. Elles ont pour l’instant créé 6 albums et 5 chansons qui n’existent que par leur titre. Final Girl a tout de même fléchi devant la tentation de la matérialisation et a réalisé une chanson le premier avril 2015.

Liste des albums :

COMME TOUS CES CHATS QUI N’ONT PAS DE NOM

MES MAINS SONT PLUS FROIDES QUE VOS PIEDS

LA JUPE EST UNE FEMME

LA ROSE EST MUSCLÉE

TA MÈRE, C’EST UN PLAGIAT

TA VOIX EST PLUS SEXY QUAND JE NE L’ENTENDS PAS

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MOTORSOÑA, avril 2015 :

Avr 2015 - Lien du post

N° 533 - Maison = Maison

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

Mots-clefs :  | | | | |  

Vidéo réalisée dans le cadre d’un workshop à l’ESADaR de Rouen, dirigé par l’écrivain Emanuelle Pagano // 4’31

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MAISON = MAISON

01

00’09 Je n’ai de souvenirs que de mes départs.

02

00’18 Je ne retiens pas les arrivées. Jamais.

03

00’31 Les voyages, oui, je m’en souviens, mais c’est un autre type de souvenir. Le voyage, c’est un souvenir concret, il est solide, il a une narration, avec un début, un milieu, et une fin.

04

00’47 Les arrivées importent peu. Le départ est déjà fait. L’arrivée est simplement logique. Elle arrive. Elle est attendue, entendue. On se fout de l’arrivée.

05

00’09 Sauf accident. Sauf si, par exemple, le bateau coule. J’aurais bien aimé que le bateau coule. Elle aurait eu l’air malin, l’arrivée. Mais enfin, c’est très rare, un départ sans arrivée. Et une arrivée sans départ, c’est impossible.

06

Je n’ai de souvenirs que de mes départs,

et

Je n’ai de départs que dans mes souvenirs.

01’41 Je n’arrive pas à imaginer les départs possibles. Et il m’est impossible d’imaginer ne pas pouvoir imaginer. Ce que je ne peux pas imaginer ne peut pas exister. C’est pour ça qu’il n’y aura pas d’autres départs tant que je n’aurai pas connu d’autres arrivées. À ma prochaine arrivée, le départ sera déjà passé, et alors il pourra exister.

07

08

02’16 – 02’19 – 02’20 Je n’imagine pas l’après, et j’oublie souvent l’avant. Le présent, la plupart du temps, ne me sers qu’à convoquer mes souvenirs. Je ne peux me rappeler, que face au présent. Quand mes souvenirs perdent leur corps, leur trace dans le présent, alors, je perds mes souvenirs. On a quitté la maison de mes souvenirs, et j’ai perdu les souvenirs de la maison.

09

10

11

02’32 – 02’36 La maison, c’est toujours la même chose, et pourtant il y a eu plein de maisons différentes. On ne peut pas déplacer la maison, et pourtant il y en a toujours une. Aucune maison ne sera la même que la précédente mais elle sera toujours la maison.

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13

14    

02’53 Une maison, c’est en fait un dedans et un dehors.

15

03’08 Pour essayer de déplacer la maison, on a enlevé le dedans, on l’a mis dehors. En mettant le dedans dans le dehors, ce n’est déjà plus une maison, parce qu’on ne peut plus rentrer dans le dedans, et on n’est jamais rentré dans le dehors. Le dedans a besoin du dehors. Pas de dedans sans dehors.

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03’35 Bien sûr, on mettra le dedans dans un autre dehors, ou dans un autre dedans, qui sera dans un dehors, mais alors ce ne sera plus le même dedans. Ce ne sera plus la même maison. Pourtant, avec un peu de chance, ça deviendra LA maison.

17

18

04’10 Et on la quittera elle aussi, quand le présent sera devenu passé, quand le dedans sera à nouveau dehors, et alors, encore une fois, comme d’habitude, il ne restera plus que le départ.

19

 

Mar 2015 - Lien du post

N° 603 - C’est pour quoi ?

Dimension(s) : 04 · Travail & Oisiveté

Mots-clefs :  

Virginie est au bout du chemin.

Virginie est là, sur le trottoir, devant la porte.

Virginie est sous l’enseigne ronde, énorme et rouge.

Sur la droite il y a une phrase de L.E.D, rouges elles aussi, elle bouge, elle défile, un peu trop vite,

tout est rouge

parce que le rouge c’est violent, le rouge c’est convainquant.

Et la phrase en rouge dit des choses.

Elle dit Bienvenue.

Elle ne dit pas bienvenue, elle dit Welcome.

Welcome nous sommes modernes. Welcome nous sommes Market. Welcome nous sommes Trade.

Maintenant que Virginie y est, sous cette enseigne, devant cette porte, à gauche de Welcome,

elle n’est plus trop sûre d’être là,

et pourtant, ça fait déjà des heures qu’elle s’y trouve,

mais non, elle vient d’y arriver, essoufflée, ses mains suent dans ses gants,

ses joues sont rouges, rouges de froid, de culpabilité, rouges de peur, rouges de sang.

La porte est franchie. Derrière il y a l’hôtesse. Smiling bright. Toute en dents.

En dents et en cheveux et en brushing et en fard. Smiling bright sur pencil skirt.

Oui c’est pour quoi ?

Oui, c’est pour rien, c’est vous qui devez me dire c’est pour quoi. C’est pour quoi. C’est pour moi. C’est moi pour vous. C’est pour rien, c’est parce que. C’est parce qu’il faut. C’est parce que c’est obligé. C’est parce que c’est tout ce qu’il reste.

((((Mais c’est pas vraiment tout ce qu’il reste. Je le sais bien. Il y a d’autres choses. Il y a d’autres choses mais elles sont plus dures. C’est pour ça que le chemin était si long, la porte si dure à franchir. C’est pour toutes ces choses dures qui ont été abandonnées. C’est pour ça que les mains transpirent tant, que les joues sont si rouges.))))

Il va bien falloir s’y mettre, avait dit la mère. Il va bien falloir y passer. Tout le monde le fait. Tout le monde. Tout le monde. Ce n’est pas si dur. C’est la vie. C’est ça, la vie. C’est ça, la vie de tout le monde.

Virginie ne sait pas trop. Elle n’est pas sûre de savoir ce qu’est la vie. Elle n’est pas sûre de savoir ce qu’est tout le monde. Elle n’est pas sûre que tout le monde sache ce qu’est la vie. Elle n’est pas sûre que la vie soit tout le monde. Elle n’est pas sûre. Jamais. De rien.

Mais la mère l’a dit. Alors elle l’a fait.

La mère a dit c’est comme ça. Il faut s’y faire. Il n’y a pas d’autres moyens.

La mère posait toujours la même question. Alors. Alors. Alors. Alors quoi. Alors que fais-tu. Alors quand travailles-tu.

Je travaille, la mère, je travaille.

Tu travailles quoi ? Tu travailles dans quoi ? Tu travailles pour quoi ?

Je travaille, la mère.

Travailler ce n’est pas ça. Travailler n’est pas plaisant. Travailler n’enrichit pas. Travailler n’enrichit pas avec de la pensée. Travailler enrichit d’argent.

Tu n’as pas d’argent, alors tu ne travailles pas.

Tu dois avoir de l’argent.

Alors tu dois travailler.

Ou.

Tu dois travailler.

Alors tu dois avoir de l’argent.

La mère a dit c’est comme ça. C’est les gens. C’est la vie. Alors pourquoi pas toi. Pourquoi toi t’es au-dessus de ça. Tu dois. C’est comme ça. Tu dois faire comme ça.

Alors comme Virginie n’est sûre de rien, elle a fait comme. Comme les gens et comme ça.

Parce que sinon, c’était trop dur. Elle est fatiguée Virginie. Fatiguée de tout le temps devoir expliquer. Expliquer à des gens qui veulent des explications. Des explications qu’ils ne veulent pas comprendre. Ils veulent qu’on leur explique, et ils veulent ensuite ne pas comprendre. Pour pouvoir expliquer à leur tour, à nous, ce qu’ils pensent que nous n’avons pas compris.

Virginie a donc franchi la porte. Elle a dit bonjour à Smiling Bright.

Smiling Bright a dit C’est pour quoi.

Virginie a répondu c’est pour quoi, c’est pour moi, c’est pour un rendez-vous, j’ai un rendez-vous, là maintenant, enfin je crois, peut-être que je suis un peu retard, non en fait je suis en avance.

Elle ne sait plus ce qui est le plus gênant, le retard ou l’avance.

Smiling Bright smile toujours, elle ne s’arrête jamais de smiler, son smile est toujours le même, mais par en-dessous elle rajoute des couches. Des nuances. Infinitésimales.

Une infinitésimalité d’affabilité.

Une infinitésimalité d’hypocrisie.

Pour Virginie, elle a choisi l’infinitésimalité de mépris.

Smiling Bright laisse sa pencil skirt mener Virginie jusqu’à une chaise. Une chaise d’attente. Personne n’achète ces chaises pour autre chose que les salles d’attente, ce sont des chaises faites exprès pour l’attente, elles n’ont jamais été employées que pour ça. L’assise et le dossier de la chaise sont chinés de rouge, du rouge de l’angoisse, du rouge de la torture, du rouge de l’attente.

Les mains de Virginie suent tellement qu’elle n’ose plus retirer ses gants. Elle n’ose pas enlever son écharpe. Ni ôter son manteau. Elle sait que quand son rendez-vous arrivera, elle aura l’air gauche à essayer de rassembler toutes ses grosses affaires dans ses trop petits bras, qu’elle en perdra des bouts, qu’il y aura un morceau qui traînera. Alors elle garde tout.

Mais elle sue. Elle sue dans ses gants.

Elle a mis du rouge à lèvre. Rouge. Rouge pompier, menteur, rouge démonstration, rouge vendeur.

Elle espère que le rouge à lèvre pourra dire plus de mensonges que ses yeux.

Enfin, ça y est son rendez-vous arrive.

Gel sur début de calvitie, col pointu de vulgarité, sourire de loup.

Il tend la main, Virginie la prend, elle a enfin enlevé ses gants, la sienne sue, celle de l’autre est flasque,

—- poigne molle contre doigts glissants —-

une des pires poignées de mains qui lui soit jamais arrivée.

Je vous emmène dans mon bureau veuillez me suivre c’est par là après vous prenez un siège asseyez-vous.

Ca y est, ils sont assis, face à face, sourire de loup contre Virginie. Il fait semblant de regarder dans les yeux. Mais il ne regarde pas vraiment. Il a l’écran du sourire pour le protéger.

Bon alors c’est pour quoi.

C’est pourquoi. C’est pour quoi. Toujours pas. C’est de plus en plus pour rien. C’est de moins en moins parce que. Virginie n’est là pour rien. Elle est là parce que tout le monde. Elle est là parce que la vie. Elle est là parce que la mère.

C’est pour un travail. C’est pour un travail vrai. C’est pour un vrai travail.

((((C’est pour un travail triste. Mais qui va me donner l’argent. Et avec l’argent je ne serai plus triste. La mère ne sera plus triste. C’est pour vendre mon bonheur contre de l’argent, parce que sans l’argent je ne peux pas avoir de bonheur, c’est la mère qui l’a dit, parce que sans argent je ne peux pas vivre, c’est la mère qui l’a dit, parce qu’avec l’argent je ne peux pas être triste, je peux être triste avec le travail mais après il y aura l’argent alors je ne serai plus triste. Je ne sais plus ce qui me rend triste. Je ne sais plus si c’est le travail ou le sans travail ou l’argent ou le sans argent ou la mère ou moi. Je ne sais plus ce qui est triste. Triste ?))))

C’est pour un travail.

Bien sûr c’est pour un travail nous sommes là pour ça. Nous sommes les dealers du travail. Le prêt-à-porter du travail. A coup sûr nous donnons du travail. On ne repart pas d’ici sans travail. C’est votre première fois en interim ?

Oui, oui, oui c’est ma première fois.

Vous savez ce que nous faisons, ici ?

((((Non, non, ici, je ne sais pas ce que vous faites, tous les bureaux sont vides, il n’y a que des chaises vides de salle d’attente, que des bureaux vitrés vides, avec des sourires de loup dedans, derrière des ordinateurs, des sourires de loup qui semblent ne rien faire, on dirait qu’ils sont débranchés, qu’ils attendent les Virginie, qu’ils sont éteint jusqu’au prochain rendez-vous, les sourires de loup clignotent, en charge, ils attendent que les mains moites arrivent, alors les sourire de loup se réveillent, ils font asseoir les Virginie, ils les croquent dans leur sourire de loup, ils les mâchonnent les ingèrent les ruminent.

Et quand ils les recrachent, que deviennent les Virginie ?))))

Vous savez ce que nous faisons, ici ?

((((Non, oui, si, non, je crois savoir, mais pas vraiment, je ne voulais pas vraiment savoir, avant de venir ici, sinon je sais que je ne serai pas venue, il ne fallait pas que je sache, parce qu’alors, alors je n’aurai jamais franchi la porte.))))

Oui, un peu. Je sais, un peu.

Nous sommes spécialisés dans le télé.

La télé.

La télé                  opération.

La télé                  vente.

Le télé                  marketing.

La télé                  assurance.

((((Non. Je ne savais pas.))))

Oui, c’est ça. Je suis venue pour ça. Pour devenir télé.

Vous avez déjà fait ça ?

Non. Non. Non.

C’est pas facile, le télé. Tout le monde n’est pas fait pour le télé.

((((Je venais pourtant pour faire comme tout le monde.))))

C’est dur, le télé.

Oui.

Vous êtes prête à faire du télé ?

Oui ((((Non.))))

Vous faisiez quoi, jusque là ? Vous m’avez amené votre CV ?

Oui. Oui, voilà. Voilà ce que je faisais, avant.

Il n’est pas très riche, ce CV, je comprends ce que vous faites là, vous avez envie de vous y mettre, de rentrer dans la vie, d’obtenir

de l’expérience des compétences des aptitudes des qualifications du savoir-faire – – – –

Oui. ((((Non.))))

Je vais voir ce que je peux faire, attendez cinq minutes, que je fasse semblant de cliquer sur mon écran, que je tapeti-tapote sur mon clavier, que je cliquète plusieurs fois mon stylo,

j’ai forcément quelque chose pour vous,

sourire de loup,

sourire de loup, jusque dans le reflet de l’écran,

mmhh

mmmhhh

mmmmmmmmmmmmmmmmmhhhhhhhhhhhhhhhhhhh

ah mais oui voilà, je savais que j’avais ça, c’est arrivé la semaine dernière, c’est urgent, ils ont besoin de télé, ça sera parfait. C’est la semaine prochaine, lundi huit heures, signez là, maintenant tout de suite oui voilà, je suis ravi pour vous, vous me plaisez, j’ai adoré vous rencontrer, vous êtes quelqu’un de singulier, signez là aussi, oui sous les petites lignes, et là, et des initiales ici,

merci beaucoup …. Virginie, oui c’est ça, Virginie, oui merci beaucoup.

Non, c’est moi qui vous remercie.

Oui voilà ce sera parfait, donc vous commencez lundi, on vous expliquera là-bas, tout sera dit là-bas, tout sera fait là-bas, je vous coche la case ticket restaurants, on vous les fournira là-bas, je suis ravi, vous êtes ravie, vous voyez, qu’on y est arrivés, nous sommes ravis, allez, merci, merci beaucoup – – – – –

Poigne molle contre doigts glissants

– – – – – – merci beaucoup et bon courage, et encore bravo, je suis ravi, smiling bright va vous raccompagner, passez une excellente journée, et toutes mes félicitations.

 

Virginie se rhabille sur le trottoir, elle enfile son écharpe et remet ses gants.

Elle frotte le rouge à lèvre. Elle s’en barbouille les joues. Elle crache. Elle a toujours sur la langue le goût du sourire de loup. Elle va peut-être vomir. Elle va peut-être pleurer. Elle reprend le chemin.

 

Elle appelle la mère.

Et bien tu vois, ce n’était pas si sorcier. Je suis tellement fière de toi.

 

 

 

 

 

Fév 2015 - Lien du post

N° 306 - Il y aurait aussi de l’hors-texte

22_HTIndex((Un peu comme celui d’ici, d’ailleurs. Qui est .))

23_HTIllusions((C’est le petit point flou entre les joints bleu marine du carrelage de la salle de bain. Il apparaît ici.))

24_HTCartes((Des cartes du chemineur, qui ne souhaitent mener nulle part. Un premier essai est ici))

25_HTPoro((Celle par exemple décrite ici.))

26_HTGeol

27_HTFiligranes

Fév 2015 - Lien du post

N° 583 - Vorwerk

20_Vorwerk

Vorwerk  – Issu d’une résidence à la Pierre Bleue, fondée par Félix Jutteau – Pour voir les réflexions initiées lors de ce temps de travail et de recherche, c’est ici.

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VORWERK
avant l’œuvre                     pour l’œuvre

avant, c’est l’œuvre

avant l’œuvre, c’est déjà l’œuvre

œuvrer avant l’œuvre

œuvrer, avant

œuvrer, avant.

à l’œuvre                   .                   à l’œuvre de l’œuvre

œuvrer à l’œuvre

œuvrer avant l’œuvre

l’œuvre d’œuvrer

  .     l’euvre

ouvrer   .

comment œuvrer ? où œuvrer ? quand œuvrer ?

                comment ?              où ?                    quand ?

résidence        workshop       atelier

temps de vie temps de travail

temps   .    espace

espace de vie espace de travail .

vorwerk  .  vortex  .

temps de disponibilité   espace de

disponibilité pour l’œuvre

disponibilité à l’œuvre.

disponibilité afin d’œuvrer.

disponible afin d’œuvrer.

disponible pour chercher

recherche de disponibilité.

disponible pour qu’il se passe quelque chose

ne rien faire.

pour que quelque chose se fasse

pour que quelque chose se passe

disponible pour être poreux

disponibilité de la porosité

ne rien œuvrer mais laisser se passer

du       temps      .           et            .        de l’espace

du temps et de l’espace disponibles

recherche de lieux de recherche

recherche de recherche

recherche passive .

pour que l’œuvre arrive

l’œuvre d’avant l’œuvre

VORWERK   .

Juin 2014 - Lien du post

N° 615 - La pensée du matin

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

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Le matin, ma pensée s’écoule aussi lentement que si elle s’adressait à quelqu’un d’autre. Souvent, elle se débrouille toute seule et je n’ai plus qu’à l’écouter. Elle aime bien me surprendre avec ce qu’elle raconte. Il nous arrive d’avoir de véritables conversations.

Il n’y a que le matin où la pensée reste solide. Quand le carton des yeux s’en va, elle se liquéfie et coule à nouveau, discrète et cachée.

Juin 2011 - Lien du post