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N° 568 - La maison idéale ne serait que de l’extérieur ?

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

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« C’était une sorte d’émerveillement lancinant, douloureux. […] C’est un peu comme quand on regarde les trains électriques, surtout quand il y a la maquette, avec une gare et des tunnels, des vaches dans les prés et des réverbères allumés près des passages à niveau. C’est pareil là aussi. Ou bien dans les dessins animés quand on voit la maison des souris, avec des lits dans des boîtes d’allumettes, et un cadre avec le grand-père souris accroché au mur, une bibliothèque, et une cuiller qui sert de chaise à bascule. Tu sens une sorte de consolation à l’intérieur de toi, comme une révélation, qui t’ouvre le cœur en grand, si on peut dire, mais en même temps tu sens comme une pointe, comme la sensation d’une perte irrémédiable, et définitive. Une catastrophe douce. Je crois que ça vient du fait que tu es toujours dehors, tu les regardes mais toujours de dehors. Tu ne peux pas y monter, dans le petit train, voilà l’histoire, et la maison des souris est quelque chose qui reste là-dedans, à l’intérieur de la télévision, et toi tue s irrémédiablement devant, tu la regardes et tu ne peux rien faire d’autre. Cette Maison Idéale aussi, ce jour-là, tu pouvais y entrer, si tu voulais, tu faisais un peu la queue puis tu entrais et tu visitais l’intérieur. Mais si tu faisais ça, ce n’était plus pareil. Il y avait des tas de choses intéressantes, c’était une curiosité, tu pouvais même toucher les bibelots, mais il n’y avait plus cet émerveillement de l’instant où tu l’avais vue de dehors, cette sensation-là n’existait plus. C’est un drôle de truc. Quand ça t’arrive de voir l’endroit où tu serais sauvé, c’est toujours de dehors que tu le regardes. Jamais tu n’es dedans. C’est ton endroit, mais toi, tu n’y es jamais. »

Alessandro BARRICCO, City

Fév 2015 - Lien du Post

N° 536 - Tant pis, ouais.

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

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Tant pis pour le banc du bout du jardin,
celui qui laisse des petites échardes de peinture blanche sous l’ongle.
Tant pis pour le pin au-dessus du banc,
celui qui fait des petites boules de résine molles puis dures puis molles entre les doigts.
Tant pis pour la mer en face du banc,
et tant pis pour les bruits de fine cloche des haubans contre les mâts qui balancent.
Tant pis pour l’odeur des ajoncs.
Tant pis pour les pommes de pins et leurs pignons qui laissent de la poussière noire au bout des mains.
Tant pis pour les serpents du cou des cormorans avant qu’ils ne plongent.
Tant pis pour le banc du bout du jardin.
Si on devait s’y rassoir,
ce ne serait jamais aussi bien que dans le souvenir
et l’image de ce moins bien surimposerait la pellicule dans la mémoire

Avr 2015 - Lien du post

N° 533 - Maison = Maison

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

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Vidéo réalisée dans le cadre d’un workshop à l’ESADaR de Rouen, dirigé par l’écrivain Emanuelle Pagano // 4’31

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MAISON = MAISON

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00’09 Je n’ai de souvenirs que de mes départs.

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00’18 Je ne retiens pas les arrivées. Jamais.

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00’31 Les voyages, oui, je m’en souviens, mais c’est un autre type de souvenir. Le voyage, c’est un souvenir concret, il est solide, il a une narration, avec un début, un milieu, et une fin.

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00’47 Les arrivées importent peu. Le départ est déjà fait. L’arrivée est simplement logique. Elle arrive. Elle est attendue, entendue. On se fout de l’arrivée.

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00’09 Sauf accident. Sauf si, par exemple, le bateau coule. J’aurais bien aimé que le bateau coule. Elle aurait eu l’air malin, l’arrivée. Mais enfin, c’est très rare, un départ sans arrivée. Et une arrivée sans départ, c’est impossible.

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Je n’ai de souvenirs que de mes départs,

et

Je n’ai de départs que dans mes souvenirs.

01’41 Je n’arrive pas à imaginer les départs possibles. Et il m’est impossible d’imaginer ne pas pouvoir imaginer. Ce que je ne peux pas imaginer ne peut pas exister. C’est pour ça qu’il n’y aura pas d’autres départs tant que je n’aurai pas connu d’autres arrivées. À ma prochaine arrivée, le départ sera déjà passé, et alors il pourra exister.

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02’16 – 02’19 – 02’20 Je n’imagine pas l’après, et j’oublie souvent l’avant. Le présent, la plupart du temps, ne me sers qu’à convoquer mes souvenirs. Je ne peux me rappeler, que face au présent. Quand mes souvenirs perdent leur corps, leur trace dans le présent, alors, je perds mes souvenirs. On a quitté la maison de mes souvenirs, et j’ai perdu les souvenirs de la maison.

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02’32 – 02’36 La maison, c’est toujours la même chose, et pourtant il y a eu plein de maisons différentes. On ne peut pas déplacer la maison, et pourtant il y en a toujours une. Aucune maison ne sera la même que la précédente mais elle sera toujours la maison.

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02’53 Une maison, c’est en fait un dedans et un dehors.

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03’08 Pour essayer de déplacer la maison, on a enlevé le dedans, on l’a mis dehors. En mettant le dedans dans le dehors, ce n’est déjà plus une maison, parce qu’on ne peut plus rentrer dans le dedans, et on n’est jamais rentré dans le dehors. Le dedans a besoin du dehors. Pas de dedans sans dehors.

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03’35 Bien sûr, on mettra le dedans dans un autre dehors, ou dans un autre dedans, qui sera dans un dehors, mais alors ce ne sera plus le même dedans. Ce ne sera plus la même maison. Pourtant, avec un peu de chance, ça deviendra LA maison.

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04’10 Et on la quittera elle aussi, quand le présent sera devenu passé, quand le dedans sera à nouveau dehors, et alors, encore une fois, comme d’habitude, il ne restera plus que le départ.

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Mar 2015 - Lien du post