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N° 759 - L’inutilité de la pensée

« La réification qui a lieu dans l’écriture, la peinture, le modelage ou la composition est évidemment lié à la pensée qui l’a précédée, mais ce qui fait de la pensée une réalité, ce qui fabrique des objets de pensée, c’est le même ouvrage qui, grâce à l’instrument primordial des mains humaines, construit les autres objets durables de l’artifice humain… C’est toujours dans la « lettre morte » que « l’esprit vivant » doit survivre dans une mort dont on ne peut le sauver que si la lettre rentre en contact avec une vie qui veut la ressusciter… La pensée n’a ni fin ni but hors de soi ; elle ne produit même pas de résultats ; […] la pensée est « inutile » – aussi inutile en effet que les œuvres d’art qu’elle inspire. Et ces produits inutiles, la pensée ne peut même pas les revendiquer, car, de même que les grands systèmes philosophiques, ils peuvent à peine passer pour les résultats de la pensée pure à proprement parler, puisque c’est précisément le processus de la pensée que l’artiste ou le philosophe écrivain doivent interrompre et transformer pour la réification matérialisante de leur œuvre. »

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne
(ramassé par François Delastre)

Juil 2017 - Lien du Post

N° 755 - La quête du ouapiti

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– Mmmm… joli coup ! apprécia le sénateur.

La bille venait de s’envoler très haut et le sillage de fumée rousse qu’elle venait de tracer persistait dans le ciel. Wolf laissa retomber sa canne et ils reprirent leur marche.

– Oui, dit Wolf indifférent, je suis en progrès. Si je pouvais m’entraîner…

– Personne ne vous en empêche, dit le sénateur Dupont.

– De toute façon, répondit Wolf, il y aura toujours des gens qui joueront mieux que moi. Alors ? À quoi bon ?

– Ça ne fait rien, dit le sénateur. C’est un jeu.

– Justement, dit Wolf, puisque c’est un jeu, il faut être le premier. Sans ça, c’est idiot et c’est tout. Oh ! et puis ça fait quinze ans que je joue au plouk… tu penses comme ça m’excite encore…

La petite voiture brinquebalait derrière le sénateur et profita d’une légère déclivité pour venir lui cogner le derrière avec sournoiserie. Le sénateur se lamenta.

– Quel supplice ! gémit-il. J’aurai le cul pelé avant une heure !…

– Ne sois pas douillet comme ça, dit Wolf.

– Enfin, dit le sénateur, à mon âge ! C’est humiliant !

– Ça te fait du bien de te promener un peu, dit Wolf, je t’assure.

– Quel bien peut me faire une chose qui m’assomme ? dit le sénateur.

– Mais tout est assommant, dit Wolf, et on fait des choses quand même…

– Oh ! vous, dit le sénateur, sous prétexte que rien ne vous amuse, vous croyez que tout le monde est dégoûté de tout.

– Bon, dit Wolf, en ce moment, de quoi as-tu envie ?

– Et si on vous posait la même question, grommela le sénateur, vous seriez bien en peine de répondre, hein ?

Effectivement, Wolf ne répondit pas tout de suite. Il balançait sa canne et s’amusait à décapiter des tiges de pétoufle grimaçant qui croissaient çà et là sur le terrain à ploukir. De chaque tige coupée sortait un jet gluant de sève noire qui se gonflait en un petit ballon noir à monogramme d’or.

– Je ne serais pas en peine, dit Wolf. Je te dirais simplement que plus rien ne me fait envie.

– C’est nouveau, ricana le sénateur, et la machine ?

– Ça serait plutôt une solution désespérée, railla Wolf à son tour.

– Allons, dit le sénateur, vous n’avez pas tout essayé.

– C’est vrai, dit Wolf. Pas encore. Mais ça va venir. Il faut d’abord une vue claire des choses. Tout ça ne me dit pas de quoi tu as envie.

Le sénateur devenait grave.

– Vous ne vous moquerez pas de moi ? demanda-t-il.

Les coins de son museau étaient humides et frémissants.

– Absolument pas, dit Wolf. Si je savais que quelqu’un a vraiment envie de quelque chose, ça me remonterait le moral.

– Depuis que j’ai trois mois, dit le sénateur d’un ton confidentiel, je voudrais un ouapiti.

– Un ouapiti, répéta Wolf absent.

Et il reprit aussitôt :

– Un ouapiti !…

Le sénateur reprit courage. Sa voix s’affermit.

– Ça au moins, expliqua-t-il, c’est une envie précise et bien définie. Un ouapiti, c’est vert, ça a des piquants ronds et ça fait plop quand on le jette à l’eau. Enfin… pour moi… un ouapiti est comme ça.

– Et c’est ça que tu veux ?

– Oui, dit le sénateur fièrement. Et j’ai un but dans ma vie et je suis heureux comme ça. Je veux dire, je serais heureux sans cette saloperie de petite voiture.

Wolf fit quelques pas en reniflant et cessa de décapiter les pétoufles. Il s’arrêta.

– Bon, dit-il. Je vais t’enlever la voiture et on va aller chercher un ouapiti. Tu verras si ça change quoi que ce soit d’avoir ce qu’on veut.

Le sénateur s’arrêta et hennit de saisissement.

– Quoi ? dit-il. Vous feriez ça ?

– Je te le dis…

– Sans blague, haleta le sénateur. Faut pas donner un espoir comme ça à un vieux chien fatigué…

– Tu as la veine d’avoir envie de quelque chose, dit Wolf, je vais t’aider, c’est normal…

– Nom d’une pipe ! dit le sénateur, c’est ce qu’on appelle de la métaphysique amusante, dans le catéchisme.

Pour la seconde fois, Wolf se baissa et libéra le sénateur. Gardant une canne à ploukir, il laissa les autres dans la voiture. Personne n’y toucherait car le code moral du plouk est particulièrement sévère.

– En route, dit-il. Pour le ouapiti, il faut marcher courbés et vers l’est.

– Même en vous courbant, dit Dupont, vous serez encore plus grand que moi. Donc, je reste debout.

Ils partirent, humant le sol avec précaution. La brise agitait le ciel dont le ventre argenté et mouvant s’abaissait parfois à caresser les grandes ombelles bleues des cardavoines de mai, encore en fleur et dont l’odeur poivrée tremblait dans l’air tiède

[…]

Le sénateur Dupont allongeait le pas car Wolf marchait vite ; et si le sénateur avait quatre pattes, celles de Wolf étaient en nombre deux fois inférieur, mais chacune trois fois plus longue ; d’où la nécessité où se trouvait le sénateur de tirer la langue de temps en temps et de faire han ! han ! pour manifester sa fatigue.

Maintenant le sol était rocailleux et couvert d’une mousse dure pleine de petites fleurs comme des boules de cire parfumée. Des insectes volaient entre les tiges, éventrant les fleurs à coups de mandibules pour boire la liqueur de l’intérieur. Le sénateur n’arrêtait pas d’avaler de croquantes bestioles et sursautait chaque fois. Wolf allait à grandes enjambées, à la main sa canne à ploukir, et ses yeux scrutaient les alentours avec le soin qu’ils eussent apporté à déchiffrer Le Kalevala dans le texte. Il entremêlait ce qu’il voyait avec de choses déjà dans sa tête, cherchant à quel endroit la jolie figure de Lil se posait le mieux. Une ou deux fois même, il tenta d’incorporer au paysage l’effigie de Folavril, mais une honte à demi formulée lui fit éliminer ce montage. Faisant un effort, il réussit à se concentrer sur l’idée du ouapiti.

À des indices variés, tels que crottes en spirales et rubans de machine à écrire mal digérés, il reconnaissait d’ailleurs la proximité de l’animal et ordonna au sénateur, vivement ému, de garder son calme.

– On va en trouver un ? souffla Dupont.

– Naturellement, répondit Wolf tout bas. Et maintenant, pas de blagues. À plat ventre tous les deux.

Il se colla au sol et avança au ralenti. Le sénateur grommelait « ça me racle entre les cuisses » mais Wolf lui imposa le silence. À trois mètres, il aperçut brusquement ce qu’il cherchait : une grosse pierre aux trois quarts enterrée, percée en son sommet d’un petit trou carré parfait, qui s’ouvrait dans sa direction. Il l’atteignit, saisit sa canne et cogna trois coups sur la pierre.

– Au quatrième top, il sera exactement l’heure !… dit-il en imitant la voix du Monsieur.

Il donna le quatrième top. À la même seconde, le ouapiti affolé sortit du trou avec de grandes contorsions.

– Grâce, Monseigneur ! gémit-il. Je rendrai les diamants. Parole de gentilhomme !… Je n’ai rien fait !… Je vous l’assure…

L’œil luisant de convoitise du sénateur Dupont le regardait en se léchant les babines si l’on ose dire. Wolf s’assit et dévisagea le ouapiti.

– Je t’ai eu, dit-il. Il n’est que cinq heures et demie. Tu vas venir avec nous.

– Zut, zut et zut ! protesta le ouapiti. Ça ne va pas du tout. C’est pas du jeu.

– S’il avait été vingt heures douze, dit Wolf, et si nous nous étions trouvés là, tu étais fait de toute façon.

– Vous profitez de ce qu’un ancêtre a trahi, dit le ouapiti. C’est lâche. Vous savez bien que nous sommes d’une terrible susceptibilité horaire.

– Ce n’est pas une raison dont tu peux exciper, dit Wolf pour l’impressionner par un langage adéquat.

– Bon, je viens, dit le ouapiti. Mais gardez à distance cette brute à l’œil torve qui semble me vouloir meurtrir dans l’instant.

Les moustaches hirsutes du sénateur se mirent à pendre.

– Mais…, bredouilla-t-il. Je suis venu avec les meilleures intentions du monde…

– Que m’importe le monde ! dit le ouapiti.

– Tu feras des tartines ? demanda Wolf.

– Je suis votre prisonnier, Monsieur, dit le ouapiti et je m’en remets à votre bon vouloir.

– Parfait, dit Wolf. Serre la main du sénateur et arrive.

Très ému, le sénateur Dupont tendit en reniflant sa grosse patte au ouapiti.

– Puis-je monter sur le dos de Monsieur ? proposa le ouapiti en désignant le sénateur.

Ce dernier acquiesça et le ouapiti, très content, s’installa sur son dos. Wolf se remit en marche en sens inverse. Bouleversé, ravi, le sénateur le suivait. Enfin, son idéal se matérialisait… il s’était réalisé… Une sérénité onctueuse lui envahit l’âme et il ne sentait plus ses pieds.

Wolf marchait tristement.

[…]

Wolf se retrouvait à son bureau, prêtant l’oreille. Au-dessus de lui, il entendait les pas impatients de Lazuli dans sa chambre. Lil devait s’occuper de la maison, pas loin de là. Wolf se sentait cerné, il avait épuisé des tas de distractions en si peu de temps qu’il ne lui restait plus d’idées, rien qu’une grande lassitude, rien que la cage d’acier ; et l’issue de la tentative contre les souvenirs paraissait douteuse maintenant.

Il se leva, mal dans sa peau, chercha Lil de pièce en pièce. Elle était agenouillée devant la caisse du sénateur dans la cuisine. Elle le regardait et ses yeux nageaient dans les larmes.

– Qu’y a-t-il ? demanda Wolf.

Entre les pattes du sénateur, le ouapiti dormait ; le sénateur bavait, l’œil tertreux et chantait des bribes de chansons inarticulées.

– C’est le sénateur, dit Lil, et sa voix se cassa.

– Qu’est-ce qu’il a ? dit Wolf.

– Je ne sais pas, dit Lil. Il ne sait plus ce qu’il dit et il ne répond pas quand on lui parle.

– Mais il a l’air content, dit Wolf. Il chante.

– On dirait qu’il est gâteux, murmura Lil.

Le sénateur remua la queue et un semblant de compréhension éclaira ses yeux l’espace d’un éclair.

– Juste ! remarqua-t-il. Je suis gâteux et j’entends le rester.

Puis il se remit à sa musique atroce.

– Tout va bien, dit Wolf. Tu sais, il est vieux.

– Il avait l’air si content d’avoir un ouapiti, répondit Lil, pleine de pleurs.

– Être satisfait ou gâteux, dit Wolf, c’est bien pareil. Quand on n’a plus envie de rien, autant être gâteux.

– Oh ! dit Lil. Mon pauvre sénateur.

– Note bien, dit Wolf, qu’il y a deux façons de ne plus avoir envie de rien : avoir ce qu’on voulait ou être découragé parce qu’on ne l’a pas.

– Mais il ne va pas rester comme cela ! dit Lil.

– Il t’a dit que si, dit Wolf. C’est la béatitude. Lui, c’est parce qu’il a ce qu’il voulait. Je crois que dans les deux cas, ça finit par l’inconscience.

– Ça me tue, dit Lil.

Le sénateur fit un ultime effort.

– Écoutez, dit-il, je vais avoir une dernière lueur. Je suis content. Vous comprenez ? Moi, je n’ai plus besoin de comprendre. C’est du contentement intégral, c’est donc végétatif, et ce seront mes paroles finales. Je reprends contact… Je reviens aux sources… du moment que je suis vivant et que je ne désire plus rien, je n’ai plus besoin d’être intelligent. J’ajoute que j’aurais dû commencer par là.

Il se lécha le nez avec gourmandise et produisit un son incongru.

– Je fonctionne, dit-il. Le reste c’est de la rigolade. Et maintenant, je rentre dans le rang. Je vous aime bien, je continuerai peut-être à vous comprendre mais je ne dirai plus rien. J’ai mon ouapiti. Trouvez le vôtre.

Boris VIAN, L’herbe Rouge
(Ramassé par Guy Desaubliaux)

Juin 2017 - Lien du Post

N° 746 - Middle Fork, Colorado

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« Un mois après le vol des trophées, les Logan Brothers en étaient arrivés à la conclusion qu’on les avait déménagés quelque part mais que où ? ils n’en avaient pas la moindre idée et que c’était donc à eux qu’il revenait de se bouger s’ils voulaient les retrouver.

L’Amérique est un pays assez vaste, les trophées leur avaient paru fort petits : par comparaison.

Ils avaient aussi compris qu’il ne leur suffirait pas de traînasser en ville à attendre la suite d’évènements qui risquaient très bien de ne pas se produire ; pour commencer. Et puis, que ce n’était pas comme ça qu’ils pourraient remettre la main dessus.

Et que, de toute façon, ces trophées s’étaient volatilisés pour toujours.

Les Logan Brothers avaient commencé à dresser des plans pour quitter la ville. Parce que les Logan Brothers n’avaient aucune idée de l’endroit où ils allaient se rendre mais qu’il leur fallait aller quelque part s’ils voulaient avoir une chance de les trouver.

Et la veille du jour où ils avaient décidé de partir sans pour autant savoir où ils allaient se rendre, même que n’importe où n’était pas pire qu’autre chose pour commencer, quelqu’un les avait appelés au téléphone pour leur dire qu’à son avis, les trophées ne pouvaient pas être ailleurs qu’à Middle Fork, Colorado.

Le Logan Brother qui avait décroché lui avait aussitôt dit merci.

Sur quoi, ils avaient aussitôt déplié une carte pour voir où c’était, Middle Fork, Colorado. C’était à plus de quinze cents kilomètres de là : dans les Rocheuses. Ils avaient passé un bon bout de temps à contempler la carte en silence.

Jusqu’à ce que l’un d’eux déclare :

– C’est toujours un commencement. »

Richard Brautigan, Willard et ses trophées de bowling.
(ramassé grâce à Baptiste Fertillet).

Déc 2016 - Lien du Post

N° 745 - Le Flacon Bleu

« Beck était tombé par hasard sur la vieille jeep un mois plus tôt, avant que Craig se joigne à lui. Elle faisait partie des épaves de la Première Invasion industrielle de Mars qui s’était terminée lorsque la course aux étoiles s’était poursuivie. Il avait réparé le véhicule qui le menait de ville morte en ville morte, traversant les terres des oisifs et des hommes à tout faire, des rêveurs et des fainéants, d’hommes pris dans les remous de l’espace, des hommes comme lui-même et Craig qui n’avaient jamais voulu faire grand-chose et avaient trouvé Mars pour ce faire.

– Il y a cinq mille, dix mille ans, les Martiens ont fait le Flacon Bleu, dit Beck. Soufflé dans du verre martien — perdu et retrouvé, perdu et retrouvé, encore et encore.

Il regarda fixement le brouillard de chaleur qui faisait vaciller la ville morte. Toute ma vie, pensa Beck, je n’ai rien fait, et rien à l’intérieur de ce rien. D’autres, des hommes meilleurs, ont fait de grandes choses, sont allés sur Mercure, ou Vénus, ou au-delà du Système. Sauf moi. Pas moi. Mais le Flacon Bleu peut changer tout ça. »

« Beck termina sa pièce et s’apprêta à occuper la suivante. Il avait presque peur de continuer. Peur que cette fois il le trouve, que la quête finisse, et que sa vie n’ait plus de sens. C’est seulement après avoir entendu parler du Flacon Bleu par des voyageurs venant de Vénus, dix ans auparavant, que la vie avait commencé d’avoir un but. La fièvre s’était emparé de lui et le consumait depuis. S’il s’y prenait bien, la perspective de trouver le flacon pouvait emplir sa vie entière. Encore trente ans, s’il faisait attention à ne pas trop se hâter, de recherche, sans jamais s’avouer ouvertement que ce n’était pas du tout le flacon qui comptait, mais la quête, la course et la chasse, la poussière et les cités, et l’excitation. »

Ray Bradbury, « le flacon bleu », in Bien après minuit.

Nov 2016 - Lien du Post

N° 734 - Amas, fixation & structions

« Mêlant écrits publics et écrits privés, l’acte de coucher sur le papier lui [Thomas Hirschhorn] permet de fixer ses propres questionnements sur l’art, ainsi que de répondre aux interrogations des acteurs de l’art, des institutions, des circonstances. La fixation ne pétrifie pas pour autant, elle marque au contraire les étapes d’un cheminement de pensée, le rythme de ses modifications. Elle est considérée comme dynamique. C’est, dit Thomas Hirschhorn, « à partir du moment où on est fixé qu’on peut créer une dynamique », et cela concerne autant la forme artistique que la forme textuelle. »

« Jean-Luc Nancy proposait dernièrement de contrevenir au rythme incessant des constructions/destructions/déconstructions et de considérer, en faveur d’une communue pensée, la ou les structions, c’est-à-dire ce qui est in-construit, sans architecture, en déplacement, disloqué. On supprime les préfixes. Ni « avec », ni « sans ». Renvoyant à son étymologie latine, la struction est de l’ordre de l’amas, du tas, de l’entassement, et suppose l’assemblage. La struction permet d’ouvrir un espace dans lequel la pensée peut tisser des trajets en dissolvant les antinomies constitutives. Un espace de tissage, mêlant les lignes de force et les lignes de fuite, qui renvoie au texte, dans son originarité de tissu, mettant en suspens les conventions et les choses sues, pour les réinterroger à la faveur de leur mise en relation dans l’espace réel. »

Introduction par Sally Bonn
à Une volonté de faire
de Thomas Hirschhorn

Avr 2016 - Lien du Post

N° 689 - L’ordre compliqué

Yona Friedman

 

« Nous observons, en général, des choses, mais ces choses ne sont rien d’autre que les stations d’un processus quelconque. Les choses sont des abstractions créées par notre mémoire, abstractions retenues de la séquence du processus. »

Yona Friedman
L’ordre Compliqué

(Ramassé grâce à Alix Desaubliaux)

Fév 2016 - Lien du Post

N° 654 - Nanopoussières

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Man Ray,
Dust Breeding

« Évidence : les poussières tombent. Comme tout le reste. A la différence de tout le reste, les poussières tombent lentement. Très lentement on le sait et elles tombent d’autant plus lentement qu’elles sont plus petites. De taille micrométrique, soumises au hasard des collisions permanentes avec les molécules de l’air, elles errent longtemps avant que le poids par son action constante ne finisse par les projeter sur une table, un livre, le sol. Une projection de l’espace à trois dimensions sur une surface à deux dimensions après une marche erratique dans l’air. Immédiatement de la physique statistique avec notamment un modèle célèbre connu sous le nom de marche de l’ivrogne (ou marche aléatoire…). »

Lire l’article : Les poussières : des nanos à l’inframince de Marcel Duchamp

(ramassé par Nicole Caligaris)

Nov 2015 - Lien du Post

N° 245 - Le milieu du voyage

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« (Dante) « Nel mezzo del cammin di nostra vita. » : nous comprenons que ces premiers mots sont le point de départ du récit, mais cela n’est vrai que dans un sens littéraire. Le voyage proprement dit est commencé depuis longtemps. Ce début qu’on nous donne à lire se trouve déjà « au milieu du chemin de notre vie » ; c’est seulement à ce point médian que nous sommes invités à nous joindre au voyageur, après qu’il a déjà couvert une longue distance, bien avant l’ouverture du livre, à travers des paysages et des épisodes de la vie passée du poète dont Dante a préféré ne pas faire la chronique dans la Commédia. Nous entreprenons le voyage au point que la rhétorique médiévale définissait comme in media res, en plein milieu de la chose. »

« Aujourd’hui, le voyage n’a plus de destination. Il n’a plus pour but le mouvement mais l’immobilité, le séjour dans l’ici et maintenant, ou, ce qui revient au même, le passage quasi instantané d’un lieu à un autre, de telle sorte qu’il n’y a plus de traversée d’un point à un autre, ni dans l’espace ni dans le temps, ce qui ressemble beaucoup à nos habitudes de lecture. Malheureusement, de telles méthodes n’affectent pas seulement le voyage et la lecture. Elles affectent aussi nos pensées, nos fonctions réflexives, notre musculature intellectuelle. Notre faculté de penser requiert non seulement que nous soyons conscient de nous-mêmes, mais aussi que nous le soyons de notre passage dans les pages d’un livre. C’est une capacité que nous avons développées dès l’époque des tablettes de Gilgamesh, et abandonnée à l’âge de l’écran. Il nous faut désormais réapprendre à lire lentement, en profondeur, complètement, que ce soit sur papier ou sur écran : à voyager afin de revenir avec ce que nous avons lu. C’est alors seulement que nous pouvons, au sens le plus essentiel, nous qualifier de lecteur. »

Alberto Manguel, le Voyageur et la Tour

« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger. »

Robert Louis Stevenson, Voyage dans les Cévennes avec un âne.

(ramassé dans le Voyageur et la Tour)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 232 - Le processus & Duchamp

1911-moulin

Marcel Duchamp, Moulin à café, 1911

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« Si Duchamp refuse l’injonction à être artiste – il se définit comme un « défroqué de l’art » – , il n’abandonne pas pour autant les pratiques, les protocoles, les procédures artistiques. L' »anartiste » demande un redéploiement des fonctions et des dispositifs artistiques. Il s’agit d’un positionnement subtil, incarné par un refus qui ne s’installe ni à l’extérieur, ni à l’intérieur de l’institution « art », mais à sa limite, à ses frontières, et qui, à partir de celles-ci, essaie de déplacer l’opposition dialectique art / anti-art. »

« Au possible découvert grâce au Moulin à café, Duchamp donne aussi un autre nom : « l’inframince ». L’inframince est la dimension du moléculaire, des petites perceptions, des différences infinitésimales, de la co-intelligence des contraires, au sein de laquelle les lois de la dimension macro et notamment celles de la causalité, de la logique de la non-contradiction, du langage et de ses généralisations, du temps chronologique, ne valent pas. C’est dans l’inframince que le devenir a lieu, c’est au niveau micro que se font les changements. « Le possible implique le devenir – le passage de l’un à l’autre a lieu dans l’inframince. »
Et pour avoir accès à cette dimension, la condition est toujours la même – inventer une autre manière de vivre : « l’habitant de l’inframince fainéant. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

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« J’ai peur du mot création. Au sens social, ordinaire, du mot, la création, c’est très gentil, mais au fond, je ne crois pas à la fonction créatrice de l’artiste. »

Marcel Duchamp(ramassé dans Marcel Duchamp et le refus du travail)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 229 - La paresse & Duchamp

« On ne peut plus se permettre d’être un jeune homme qui ne fait rien. Qui est-ce qui ne travaille pas ? On ne peut pas vivre sans travail, c’est quelque chose d’affreux. Je me rappelle un livre qui s’appelait le Droit à la Paresse, ce droit n’existe plus. »

« Il est honteux que nous soyons encore obligés de travailler pour vivre, (…) être obligés de travailler pour exister, ça, c’est une infamie. »

Marcel Duchamp (ramassé dans Marcel Duchamp et le refus du travail)

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« (…) la paresse n’est pas simplement un « non-agir » ou un « agir minimum ». Elle est une prise de position par rapport aux conditions d’existence imposées par le capitalisme. Elle exprime d’abord un refus subjectif qui vise le travail (salarié) et tout comportement conforme à ce que la société capitaliste attend de l’individu.
Duchamp revendique ce refus de « toutes ces petites règles qui décident que vous n’aurez pas à manger si vous ne montrez pas des signes d’une activité ou d’une production, sous une forme ou une autre. » »

« L’action capitaliste, finalisée par la production de toujours plus d’argent, n’a pas uniquement des effets économiques. Elle nous équipe d’une perception et d’une sensibilité, puisque percevoir et sentir sont fonctions de l’action.
L’action paresseuse se situe aux antipodes de cette action pour laquelle la fin, à savoir l’argent, est tout et le processus n’est rien. Ce dernier n’existe pas, littéralement, s’il ne produit pas de l’argent. La paresse, au contraire est toute concentrée sur le processus, sur le devenir de la subjectivité et de sa puissance d’agir.
« Mode : l’état actif et non le résultat – l’état actif ne donnant aucun intérêt au résultat. »
« Mode : expérience – le résultat ne devant pas être gardé – ne présentant aucun intérêt. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

Avr 2015 - Lien du Post

N° 398 - Œuvre Insignifiante

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« L’œuvre insignifiante est manifestement la forme d’art la plus importante et la plus significative aujourd’hui. Il est impossible de décrire avec exactitude le sentiment esthétique généré par une œuvre insignifiante, car il varie en fonction des individus qui réalisent l’œuvre. L’œuvre insignifiante est honnête. Elle peut être appréciée ou détestée selon les intellectuels ‒ bien qu’elle soit à leur portée. Une œuvre insignifiante ne peut pas être vendu dans une galerie d’art ni recevoir le prix d’un musée ‒ quand bien même les vestiges d’œuvres insignifiantes (surtout les peintures) prennent part à de telles supercheries. Comme tout travail ordinaire, l’œuvre dépourvue de sens peut vous faire transpirer si vous la pratiquez assez longtemps. Par œuvre dépourvue de sens, j’entends simplement une œuvre qui ne vous fait pas faire ou accomplir un objet conventionnel. Déplacer des bûches d’un tas à un autre, puis les remettre à leur place et ainsi de suite, en est par exemple une très bonne illustration. Ou bien encore, creuser un trou puis le reboucher. Classer des lettres dans un trieur peut être considéré comme une œuvre dépourvue de sens à condition de ne pas être secrétaire et d’éparpiller régulièrement les dossiers sur le sol afin de n’avoir aucun sentiment d’accomplissement. Creuser un trou dans le jardin n’est pas une œuvre dépourvue de sens. D’un point de vue esthétique, soulever un poids n’est pas une œuvre dépourvue de sens, même su c’est monotone, car dans le même temps, vous vous musclez et vous en avez conscience. Il est important que la tâche déterminée ne soit pas trop agréable, de crainte que le plaisir ne devienne l’objet de l’œuvre. Ainsi le sexe, même s’il est rythmique, ne peut pas être strictement qualifié de dépourvu de sens, bien que je sois convaincu que beaucoup de gens le considèrent comme tel. Une œuvre dépourvue de sens est potentiellement l’art-action-expérience le plus important, le plus abstrait, le plus individuel, le plus stupide, le plus indéterminé, le plus surdéterminé, le plus varié que l’on puisse entreprendre aujourd’hui. Ce concept n’est pas une blague. Essayez de réaliser quelques œuvres dépourvues de sens chez vous. En fait, pour être pleinement comprise, une œuvre dépourvue de sens doit être réalisée seul(e), sinon elle risque de devenir une forme de divertissement pour les autres et les réactions de l’amateur d’art face à une œuvre dépourvue de sens ne peuvent pas être perçues en toute honnêteté. »

Walter DE MARIA, Œuvre Insignifiante

(ramassé dans Art Concep­tuel : Une Ento­lo­gie, publié sous la direc­tion de Gau­thier Herr­mann, Fabrice Rey­mond et Fabien Val­los)

Mar 2015 - Lien du Post

N° 36 - Flaubert, in Camus

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« L’ineptie consiste à vouloir conclure »

Gustave Flaubert
Lettre du 4 septembre 1850 à Louis Bouilhet.

(ramassé dans Carnets II d’Albert Camus)

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Et pour le plaisir :

« La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. »

Lettre du 23 octobre 1865 à Mademoiselle Leroyer de Chantepie.

Jan 2014 - Lien du Post

N° 388 - La quête de la Horde

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« La Pragma considérait qu’une horde n’avait qu’un but : atteindre l’Extrême-Amont par tous les moyens, véhicules compris. Elle avait naturellement le soutien inconditionnel des Fréoles qui proposaient de transporter la 35ème directement au pied de Norska ! Une aberration pour moi. Aucun sens. Une Horde n’avait que la valeur de son contre, que son corps à corps au vent et à la terre. Lui retirer la Trace, c’était l’empêcher de mûrir, d’apprendre et de savoir. C’était amener en Extrême-Amont, s’il existait, une horde profane, inachevée et crétine. Qui ne saurait donc être à la hauteur de l’enjeu. »

Alain Damasio, La Horde du Contre-Vent

Juil 2013 - Lien du Post

N° 402 - C’est le DIRE qui importe non le DIT

« Je ne voulais pas livrer le résultat d’une recherche mais écrire cette recherche elle-même en train de s’effectuer, avec ses découvertes à l’état naissant, ses ratés, ses fausses pistes, son élaboration tâtonnante d’une méthode, jamais achevée. Conscient que, « quand tout aura été dit, tout reste encore à dire, toujours tout restera encore à dire » ‒ autrement dit : c’est le DIRE qui importe non le DIT ‒ ce que j’avais écrit m’intéressait beaucoup moins que ce que je pourrai écrire ensuite. Je pense que cela est vrai pour tout écriveur / écrivain. »

André GORZ, Lettre à D.

Juin 2013 - Lien du Post

N° 386 - Joubert

08_Joubert

« C’est précisément au cours de sa quête des conditions optimales qui lui auraient permis d’écrire que Joubert tomba sur un lieu enchanteur, idéal pour s’égarer et finir par ne pas écrire le moindre livre. Il ne fut pas loin de prendre racine dans cette quête. Il se trouve justement que, pour le dire avec Blanchot, ce qu’il recherchait, cette source d’écriture, cet espace où pouvoir écrire, cette lumière qu’il rêvait circonscrite dans cet espace, exigea de lui et affirma en lui toutes sortes de dispositions qui devaient le rendre inapte à un quelconque travail littéraire, ou l’en détourner.

Joubert apparaît en cela comme l’un des écrivains véritablement modernes, choisissant le centre plutôt que la sphère, sacrifiant les résultats à la découverte de leurs conditions, renonçant à écrire un livre après l’autre et préférant prendre possession de ce point d’où il lui semblait que naissaient les et qui, une fois atteint, le dispenserait de les écrire. »

Enrique Vila-Matas, Bartleby et Compagnie

Avr 2013 - Lien du Post

N° 211 - Don Quichotte

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« Pour Juan José Saer, don Quichotte est un héro épique parce que peu lui importe que sa mission de justice connaisse l’échec ou la réussite. « C’est là le point essentiel à retenir, dit Saer : que, dans toute entreprise humaine, la conscience claire ou voilée du caractère inéluctable de l’échec est fondamentalement opposée à la morale de l’épopée. » À comparer avec cette observation de Stevenson : « Notre mission dans la vie n’est pas de réussir, mais de continuer à échouer sans perdre le moral. »

Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

Oct 2012 - Lien du Post

N° 390 - Quelques règles pour bien quêter

Dimension(s) : 01 · Cheminement

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« – Chevalier harassé de sommeil et de soucis, dites-moi si vous avez vu une bête étrange passer par-là.

– Certes, répondit le roi, mais elle est partie dans la forêt. Pourquoi vous intéressez-vous à cette bête ?

– Messires, répondit le chevalier, elle est l’objet de ma quête. Il y a trop longtemps que je la suis, et j’ai tué mon cheval. Plût à Dieu que j’en trouve un autre pour poursuivre ma quête.

[…]

– Il y a douze mois que entrepris ma quête, dit-il, il faut que je la poursuive.

– Sure chevalier, dit Arthur, confiez-la moi et je la poursuivrai encore douze mois, car j’ai besoin de ce genre de choses pour écarter les nuages qui assombrissent mon cœur.

– Vous demandez une chose insensée, répliqua le chevalier. C’est ma quête, je ne peux la transmettre à quiconque, excepté mon plus proche parent. »

 

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« Vous ne pouvez pas savoir comment une aventure commence, dit [Merlin]. La grandeur naît petite. Ne déshonorez pas votre fête en ignorant ce qui s’y passe. Telle est la loi de la quête. »

John Steinbeck, Le roi Arthur et ses Preux Chevaliers

Août 2012 - Lien du Post

N° 124 - Les listes de Carroll

12_LewisCaroll


« Carroll avait observé que la majorité sinon la totalité des livres partent d’un argument préalable auquel l’écrivain ajoute ensuite les détails ; il résolut d’inverser le procédé et de noter les épisodes que ses journées et ses rêves lui proposaient et de les ordonner ensuite. Il consacra dix longues années à forger ces éléments hétérogènes dont l’ensemble lui donna, dit-il, une claire et accablante notion de ce que représente le mot chaos. C’est à peine s’il voulut intervenir dans son œuvre en ajoutant quelques phrases requises par la nécessité de lier le tout. Noircir un nombre déterminé de pages avec un sujet et des développements, cela lui semblait une servitude à laquelle il n’avait pas à se soumettre, puisqu’il n’attachait d’importance ni à la renommée ni à l’argent. »

Jorge Luis BORGES, Livre des Préfaces

Juil 2011 - Lien du Post

N° 751 - La Nuit sera belle

La Nuit sera belle est la dernière cristallisation de cet échafaudage, qui s’est transformé en roman à part entière aux éditions Actes Sud. On y parle entre autres de pêche, de pages blanches, de quête, de mouettes ou de goélands, de monolithe, de poisson-lune, de cuisine et même de dragons. Il sort le 5 avril 2017.

Le mot de l’éditeur :
Arek, Ivan, Todd C. Douglas : trois amis, toute une nuit, dans un appartement en forme de pagode inversée. Demain, c’est sûr, ils partent enfin en expédition. Quelque part — la destination ne semble pas encore bien arrêtée. En attendant, ils boivent du thé, de la bière, du vin et du whisky mais chaque chose en son temps. Ils tentent d’échapper au but à tout prix. Ils font beaucoup plus que ce qu’ils croient et beaucoup moins que ce qu’ils disent. Mais qu’est-ce que « faire » ? Et qu’est-ce que l’oisiveté (à ne surtout pas confondre avec la paresse) ? Comment trouver le temps et l’espace pour faire sans produire, ou pour chercher sans faire ? Comment se fait-il que l’on ne puisse pas vivre sans que le travail devienne la vie ? Une recherche sans certitude de trouver, est-ce un travail ? Tels sont les thèmes abordés au fil d’une nuit de contagieuse ivresse dans ce premier roman aussi profond que jubilatoire.

Mar 2017 - Lien du post

N° 669 - Le Héron sur le Post-it

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J’ai un héron sur le mur.
Son nom est rouge
sur le jaune moche d’un Post-it.
 
Au-dessus du bureau,
ils sont pleins, les Post-it.
Mosaïque de carrés jaunes
sur fond blanc.
 
Format idéal  ̶  10 x 10.
Pas le temps d’être trop long.
Important : ne pas s’étaler.
Sur le Post-it, on filtre les mots.
Ne restent que ceux juste assez entrebâillés
pour ne pas laisser entrer n’importe quoi.
Les phrases sont trop dangereuses.
 
Le mur répertorie les pensées.
Grand garde-manger.
On y voit tous les ingrédients en même temps.
Les Post-it se connectent et les recettes apparaissent.
Petit à petit.
 
Boîte à outils.
Les petits rouages des lettres s’emboîtent.
Leurs mécaniques meublent l’espace blanc.
Celui qui noue la gorge quand on y perd les yeux.
Quand il y a quelque chose à faire
mais que les doigts collent
ou que la paresse est de trop bonne humeur
ce jour-là.
 
J’ai un héron sur le mur.
Tout seul.
Pas d’emplacement dans le puzzle.
Les dents de son engrenage n’accrochent pas.
Il hypnotise en roue libre,
sa révolution ne mène à rien.
Je l’ai collé sur le mur
pour qu’il arrête de me coller à la pensée.
Ça n’a fait que déplacer le problème.
Mais maintenant,
il me regarde dans les yeux.
J’ai un héron sur le mur,
il parasite le reste.
Il fait son intéressant
de toute sa hauteur d’échassier.
Il sait, lui, pourquoi il est ici.
Il connaît le secret,
il voit la chaîne de pensées à venir.
Le chemin vers lui
qui n’existe pas encore.
 
Arrivé en avance.
Il a grillé son tour.
Il n’était pas écrit
dans le plan de départ.
Il pourrait tout détraquer.
Ouvrir un autre chemin,
bien plus loin que prévu.
On ne sait jamais jusqu’où volent les hérons.
 
J’ai un héron sur le mur,
il ne bouge pas plus qu’un vrai.
Planté là.
Dans les champs aussi
Les hérons ont toujours l’air empaillés.
Ils font semblant de ne pas exister.
Guettent d’un air de rien,
depuis tout le dédain de leur tranquillité.
Gris clair sur cours d’eau boueux,
le héron se prend
pour un pli du paysage.
Pas plus épais qu’une parenthèse.
Ne ressort que le cure-dent de son bec.
Ne bouge pas.
Pas même d’un frémissement
de brise trop fraîche
sous le duvet.
 
Et soudain,
il se tend,
claque le cou,
projette la tête,
plonge,
plonge le bec,
 
 
il éperonne le poisson.
 
Sur mon mur,
le héron chuchote.
Utilise ton bec,
il me dit le héron.
Fais la flèche.
Pique, pique,
il me dit.
Observe  ̶  et attends.
Laisse approcher
la pensée.
Fais-toi oublier.
Les mots doivent être ferrés
frais et vifs.
J’ai un héron sur le mur.
Il se fout de moi,
trop émoussée.
Je n’attrape rien.
Du héron,
je n’ai pêché que le stoïcisme.
 
Mon stoïcisme à moi
est d’une autre espèce,
aux racines bovines.
Il regarde passer les idées
comme la vache suit du regard
les trains.
J’ai un héron sur le mur,
depuis maintenant des mois.
 
Je le contemple en ruminant béatement
quelques touffes de Post-it
digérées et régurgitées
au moins trois estomacs de cela.

Oct 2015 - Lien du post

N° 202 - Ça s’amorce

Ça s’amorce,
Ça s’amorce derrière l’oreille.
Ça s’amorce,
Ça se fera tout seul.
Rien précipiter.
Ne rien chercher.
Laisser venir.
Il ne faut pas que la langue se crispe,
il ne faut pas que la langue se crispe,
derrière les dents. Où ça s’irrite.
Ça brûle et ça enfle
et ça prend tout l’espace dont on avait besoin.
La laisser souple, la langue, la laisser souple.
Laisser siffler l’espace,
laisser siffler l’espace entre,
entre les dents de devant.
Sans début
et sans fin.
Entre. Le Milieu. L’entre-deux.
De la tranche, de la couche,
fractionnable, infiniment.
Kaléidoscope
de cils humides
entrouverts,
l’entre-deux paupières.
Le vide qui dessine les sympathies,
la cerne qui frôle le contour,
laisser affleurer,
laisser l’amorphe gonfler,
les possibles lever.
La pâte ne se brusque pas.
Ronronnement derrière de son,
interstice de strates,
annulation de sinusoïdes.
Tempo battant.
Tempo battant.
Sous les frênes, sans les frênes, sous les frênes,
entre les branches,
poils de chatons dans les cheveux,
boules de gratons en bas du jean.
Le petit bruit du sable
quand la tête est sous l’eau.
Reflet du fond de piscine.
Ça s’irise et ça moire.
Ne pas fixer les reflets,
jamais, jamais dans les yeux.
Laisser filer l’écho,
laisser filer,
l’écho qui sans vide meurt,
l’écho qui ne naît que dans le creux,
quand on passe du concave au convexe.
Ça s’emboîte, sans dessiner.
Il faut laisser saliver,
Laisser passer les murmures,
les murmures entre les choses,
les murmures d’entre les mots.
L’obsession du vent :
le vent se glisse entre,
il siffle le vide,
il siffle,
s’il est assez léger.
Le vent est infini,
l’infini des possibles,
refuser le choix,
le refuser,
ne pas faire, pour laisser entrevoir
tout ce qui pourrait être fait.
Préférer ne pas, bien sûr,
l’ennui n’existe que chez ceux
qui voudraient faire ou avoir fait.
La misère pousse en rhizome,
c’est une mauvaise herbe
aux toutes petites fleurs rouges
qui ne prolifère
que si l’on en bouture le bon bout.
Les mailles du réseau ne se dessinent
que grâce à l’existence des trous du filet.
Pas de trous, pas de mailles.
Essaimer, laisser contaminer,
imprégner influer.
Laisser la bouteille
pour en récolter la lie,
mi fluide mi solide.
Ne pas entraver le flux,
le flux de rien qui filtre
entre les pores.
Les pores de la peau.
La porosité, le trou de l’éponge,
le coin de l’œil, celui qui voit l’espace-entre,
le trois-quarts dos.
L’angle mort du derrière de la tête.
Le laisser cohabiter,
l’espace-entre,
ne pas le corrompre,
ne pas le tordre, ne pas le mordre,
ne pas le toucher.
L’espace-entre suffit.
L’entre-temps de l’espace-entre.
L’entre-temps
de la suspension sans point.

Avr 2015 - Lien du post

N° 352 - Final Girl

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logosoundcloud

Final Girl est un groupe fondé en 2012 par Lou & Apou. Elles ont pour l’instant créé 6 albums et 5 chansons qui n’existent que par leur titre. Final Girl a tout de même fléchi devant la tentation de la matérialisation et a réalisé une chanson le premier avril 2015.

Liste des albums :

COMME TOUS CES CHATS QUI N’ONT PAS DE NOM

MES MAINS SONT PLUS FROIDES QUE VOS PIEDS

LA JUPE EST UNE FEMME

LA ROSE EST MUSCLÉE

TA MÈRE, C’EST UN PLAGIAT

TA VOIX EST PLUS SEXY QUAND JE NE L’ENTENDS PAS

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MOTORSOÑA, avril 2015 :

Avr 2015 - Lien du post

N° 306 - Il y aurait aussi de l’hors-texte

22_HTIndex((Un peu comme celui d’ici, d’ailleurs. Qui est .))

23_HTIllusions((C’est le petit point flou entre les joints bleu marine du carrelage de la salle de bain. Il apparaît ici.))

24_HTCartes((Des cartes du chemineur, qui ne souhaitent mener nulle part. Un premier essai est ici))

25_HTPoro((Celle par exemple décrite ici.))

26_HTGeol

27_HTFiligranes

Fév 2015 - Lien du post