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N° 243 - Le code du monde

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

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« À notre connaissance, notre espèce est la seule pour qui le monde semble composé de récits. Constitués biologiquement de telle sorte que nous avons conscience de notre existence, nous traitons les identités que nous percevons de nous-mêmes et du monde qui nous entoure comme si elles exigeaient d’être littéralement déchiffrées, comme si tout ce qui existait dans l’univers était représenté dans un code que nous sommes censés lire et comprendre. Les sociétés humaines sont fondées sur l’hypothèse selon laquelle nous sommes, jusqu’à un certain point, capables de comprendre le monde dans lequel nous vivons. »

Alberto Manguel, le Voyageur et la Tour

Avr 2015 - Lien du Post

N° 621 - Le Perleur

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

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« Je me sens parfois comme un perleur dans un village de montagne. J’essaye de mettre ma conscience en travers de la brume qui passe, comme eux leur grillage de fer. Je prie pour que les gouttes d’eau se forment sur le métal et après j’essaye de secouer la grille, doucement, afin que ça glisse dans le chéneau. Je voudrais condenser ces instants qui bruinent, conserver – tout en restant disponible à ce qui arrive – à ce qui ne cesse d’arriver. J’ai du mal à faire circuler la vie en moi sans qu’elle s’échappe, par le trou de l’oreille ou par le trou du cul… »

Alain Damasio, La Horde du Contre-vent

Juil 2013 - Lien du Post

N° 751 - La Nuit sera belle

La Nuit sera belle est la dernière cristallisation de cet échafaudage, qui s’est transformé en roman à part entière aux éditions Actes Sud. On y parle entre autres de pêche, de pages blanches, de quête, de mouettes ou de goélands, de monolithe, de poisson-lune, de cuisine et même de dragons. Il sort le 5 avril 2017.

Le mot de l’éditeur :
Arek, Ivan, Todd C. Douglas : trois amis, toute une nuit, dans un appartement en forme de pagode inversée. Demain, c’est sûr, ils partent enfin en expédition. Quelque part — la destination ne semble pas encore bien arrêtée. En attendant, ils boivent du thé, de la bière, du vin et du whisky mais chaque chose en son temps. Ils tentent d’échapper au but à tout prix. Ils font beaucoup plus que ce qu’ils croient et beaucoup moins que ce qu’ils disent. Mais qu’est-ce que « faire » ? Et qu’est-ce que l’oisiveté (à ne surtout pas confondre avec la paresse) ? Comment trouver le temps et l’espace pour faire sans produire, ou pour chercher sans faire ? Comment se fait-il que l’on ne puisse pas vivre sans que le travail devienne la vie ? Une recherche sans certitude de trouver, est-ce un travail ? Tels sont les thèmes abordés au fil d’une nuit de contagieuse ivresse dans ce premier roman aussi profond que jubilatoire.

Mar 2017 - Lien du post

N° 702 - Pensée-parasite

J’ai une pensée-parasite.
Tique,
une pensée-tique.
À mandibules.
Derrière le pavillon de l’oreille.
Là où c’est nu,
nu et vide et vulnérable.
Découvert.
Elle a planté deux crocs. Avides.

La pensée-tique m’a incisé la boîte crânienne, là, cachée, derrière. Je tourne la tête et elle est toujours là, derrière les yeux, le crâne, le corps. Je ne vois pas la pensée-tique. Je ne la connais pas. Je ne sais rien de mon parasite, mais il m’aliène, je suis enchâssée dans ses échos, ma pensée-tique est une corde à nœuds qu’il faut que j’escalade, elle est pleine de nœuds, il faut gravir, nœud par nœud, tous les nœuds, pour arriver en haut, tout en haut de la corde, tout en haut des nœuds, mais ce là-haut, ce tout là-haut, je ne le vois pas.

C’est une grande chose, ma pensée-tique, une grande chose inconnue, énorme, c’est énorme la pensée-tique, elle me hante, j’en ai soif et ça brûle, ça brûle toutes les autres pensées, ça envahit tout et ça brouille, ça brouille toutes mes ondes. Ça grésille sur mes réseaux, ça sature, ça crachote, ça me rappelle, ça me rappelle ce qu’il faut que je fasse, ça me rappelle, il faut faire, mais quoi ? Il faut dire, mais quoi ?

Ma pensée-tique pompe, pompe, elle pompe tous mes flux, tout, tout ce qui passe elle le pompe, elle pompe et ça irrite. Ça démange, c’est fou comme ça démange, c’est imperceptible comme ça démange, mais ça démange là, partout et tout le temps, ça démange et quand je gratte, ça saigne, ça s’écartèle, ça se démembre, ça arrache le corps du parasite enflé de sang et de bile et de flux et ça se désintègre et ça s’épanche et ça s’écoule, ça coule du pus de flux, fermenté, gâté, pourri, ça suinte et ça ruisselle mais la tête, elle reste là, toujours insérée là, dans le tendre, le nu, là et le corps repousse, il repousse encore plus dru et plus fort et plus tenace, ça ne se cure pas, ne se récure pas, c’est incrusté, là, juste là.

Il faut accomplir la pensée-tique, la mettre bas, se l’expulser, se la purger, se l’exorciser, il faut l’apprivoiser, la pensée-tique, l’approcher, l’effleurer, d’abord, la tâter, la toucher du bout du doigt, du bout du bout du doigt, l’attirer sur le devant du visage, lui faire faire le tour de l’oreille, la faire grimper au beau milieu du front, en plein les narines, au centre de la prunelle, dans les vibrisses, les sinus, la cornée, la glotte, les muqueuses,
partout,
partout,
dans tous les trous.

J’appelle,
j’invoque,
j’appâte,
j’avale ma pensée-parasite.
Je digère ma pensée-parasite.
J’amalgame ma pensée-parasite.
Je pense à ma pensée-parasite, je me regarde penser à la pensée-parasite, je suis parasitée par la pensée de ma pensée-parasite, je parasite ma pensée, je suis ma pensée-parasite, je suis la pensée-parasite de ma pensée-parasite, je suis derrière l’oreille de ma pensée-parasite, je suis derrière mon oreille, je suis derrière derrière mon oreille, je pompe ma pensée-parasite, je pompe ma pensée, je pompe, je m’autopompe, je m’auto-pense, je m’auto-parasite, je suis le parasite.

Je vomis.

Jan 2016 - Lien du post

N° 615 - La pensée du matin

Dimension(s) : 05 · La Cinquième Dimension

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Le matin, ma pensée s’écoule aussi lentement que si elle s’adressait à quelqu’un d’autre. Souvent, elle se débrouille toute seule et je n’ai plus qu’à l’écouter. Elle aime bien me surprendre avec ce qu’elle raconte. Il nous arrive d’avoir de véritables conversations.

Il n’y a que le matin où la pensée reste solide. Quand le carton des yeux s’en va, elle se liquéfie et coule à nouveau, discrète et cachée.

Juin 2011 - Lien du post