Ailleurs

Ici

N° 245 - Le milieu du voyage

Dimension(s) : 01 · Cheminement

Mots-clefs :  | | |  

« (Dante) « Nel mezzo del cammin di nostra vita. » : nous comprenons que ces premiers mots sont le point de départ du récit, mais cela n’est vrai que dans un sens littéraire. Le voyage proprement dit est commencé depuis longtemps. Ce début qu’on nous donne à lire se trouve déjà « au milieu du chemin de notre vie » ; c’est seulement à ce point médian que nous sommes invités à nous joindre au voyageur, après qu’il a déjà couvert une longue distance, bien avant l’ouverture du livre, à travers des paysages et des épisodes de la vie passée du poète dont Dante a préféré ne pas faire la chronique dans la Commédia. Nous entreprenons le voyage au point que la rhétorique médiévale définissait comme in media res, en plein milieu de la chose. »

« Aujourd’hui, le voyage n’a plus de destination. Il n’a plus pour but le mouvement mais l’immobilité, le séjour dans l’ici et maintenant, ou, ce qui revient au même, le passage quasi instantané d’un lieu à un autre, de telle sorte qu’il n’y a plus de traversée d’un point à un autre, ni dans l’espace ni dans le temps, ce qui ressemble beaucoup à nos habitudes de lecture. Malheureusement, de telles méthodes n’affectent pas seulement le voyage et la lecture. Elles affectent aussi nos pensées, nos fonctions réflexives, notre musculature intellectuelle. Notre faculté de penser requiert non seulement que nous soyons conscient de nous-mêmes, mais aussi que nous le soyons de notre passage dans les pages d’un livre. C’est une capacité que nous avons développées dès l’époque des tablettes de Gilgamesh, et abandonnée à l’âge de l’écran. Il nous faut désormais réapprendre à lire lentement, en profondeur, complètement, que ce soit sur papier ou sur écran : à voyager afin de revenir avec ce que nous avons lu. C’est alors seulement que nous pouvons, au sens le plus essentiel, nous qualifier de lecteur. »

Alberto Manguel, le Voyageur et la Tour

« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger. »

Robert Louis Stevenson, Voyage dans les Cévennes avec un âne.

(ramassé dans le Voyageur et la Tour)

Avr 2015 - Lien du Post

N° 533 - Maison = Maison

Dimension(s) : 03 · Espace & Temps

Mots-clefs :  | | | | |  

Vidéo réalisée dans le cadre d’un workshop à l’ESADaR de Rouen, dirigé par l’écrivain Emanuelle Pagano // 4’31

////\\\\

MAISON = MAISON

01

00’09 Je n’ai de souvenirs que de mes départs.

02

00’18 Je ne retiens pas les arrivées. Jamais.

03

00’31 Les voyages, oui, je m’en souviens, mais c’est un autre type de souvenir. Le voyage, c’est un souvenir concret, il est solide, il a une narration, avec un début, un milieu, et une fin.

04

00’47 Les arrivées importent peu. Le départ est déjà fait. L’arrivée est simplement logique. Elle arrive. Elle est attendue, entendue. On se fout de l’arrivée.

05

00’09 Sauf accident. Sauf si, par exemple, le bateau coule. J’aurais bien aimé que le bateau coule. Elle aurait eu l’air malin, l’arrivée. Mais enfin, c’est très rare, un départ sans arrivée. Et une arrivée sans départ, c’est impossible.

06

Je n’ai de souvenirs que de mes départs,

et

Je n’ai de départs que dans mes souvenirs.

01’41 Je n’arrive pas à imaginer les départs possibles. Et il m’est impossible d’imaginer ne pas pouvoir imaginer. Ce que je ne peux pas imaginer ne peut pas exister. C’est pour ça qu’il n’y aura pas d’autres départs tant que je n’aurai pas connu d’autres arrivées. À ma prochaine arrivée, le départ sera déjà passé, et alors il pourra exister.

07

08

02’16 – 02’19 – 02’20 Je n’imagine pas l’après, et j’oublie souvent l’avant. Le présent, la plupart du temps, ne me sers qu’à convoquer mes souvenirs. Je ne peux me rappeler, que face au présent. Quand mes souvenirs perdent leur corps, leur trace dans le présent, alors, je perds mes souvenirs. On a quitté la maison de mes souvenirs, et j’ai perdu les souvenirs de la maison.

09

10

11

02’32 – 02’36 La maison, c’est toujours la même chose, et pourtant il y a eu plein de maisons différentes. On ne peut pas déplacer la maison, et pourtant il y en a toujours une. Aucune maison ne sera la même que la précédente mais elle sera toujours la maison.

12

13

14    

02’53 Une maison, c’est en fait un dedans et un dehors.

15

03’08 Pour essayer de déplacer la maison, on a enlevé le dedans, on l’a mis dehors. En mettant le dedans dans le dehors, ce n’est déjà plus une maison, parce qu’on ne peut plus rentrer dans le dedans, et on n’est jamais rentré dans le dehors. Le dedans a besoin du dehors. Pas de dedans sans dehors.

16

03’35 Bien sûr, on mettra le dedans dans un autre dehors, ou dans un autre dedans, qui sera dans un dehors, mais alors ce ne sera plus le même dedans. Ce ne sera plus la même maison. Pourtant, avec un peu de chance, ça deviendra LA maison.

17

18

04’10 Et on la quittera elle aussi, quand le présent sera devenu passé, quand le dedans sera à nouveau dehors, et alors, encore une fois, comme d’habitude, il ne restera plus que le départ.

19

 

Mar 2015 - Lien du post