« Mais si le temps n'existe que dans ma tête, et si je suis le dernier être humain, il finira avec moi. Cette pensée me rend joyeuse. Il est peut-être en mon pouvoir de tuer le temps. [...] Dans le fond, ces pensées n'ont aucune signification. Les choses arrivent tout simplement et, comme des milliers d'hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d'un évènement est tout entier dans cet évènement. »
X · 541 · Le Mur invisible, Marlen Haushofer
Traduction de Jacqueline Chambon et Liselotte Bodo, Paris : 1992, Actes Sud, "Babel", p. 277.
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« Qu'une chose qui va se produire demain soit aujourd'hui dans le poème n'a rien de plus mystérieux qu'une chose qui s'est produite hier et qui est dans le poème aujourd'hui. Je veux dire que le futur, le passé et le présent sont en quelque manière enchevêtrés. »
X · 499 · Trois leçons de poétique, Jack Spicer
P. 51
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« Notre temps n'est pas cette ligne unilinéaire qui irait vers la fin – l'espace intersidéral de la compétition mondialisée – et qui nous obligerait sans relâche à accélérer nos rythmes, précipitant d'un même pas notre salut et notre effondrement. [...] Utilisons la grève pour vaincre en nous cette ombre de Dieu et revenir à un présent partagé et ralenti, ici et maintenant, qui se laisse remplir et compliquer par les contradictions sursaturées du passé et qui, ce faisant, rend l'avenir complètement ouvert. »
X · 494 · Du Cap aux grèves, Barbara Stiegler
P. 122
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« C'est que cela le troublait de savoir qu'hier est aujourd'hui et alors et alors il n'y a pas de lendemain, parce que les années sont des années et que les journées ne sont jamais des journées. Par exemple. »
X · 492 · Mrs Reynolds, Gertrude Stein
P. 102
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« *Time is separate from memory* muttered Mahnmut on their private line, speaking now mostly to himself, *but is memory ever separate from time?* »
X · 490 · Ilium, Dan Simmons
P. 104
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« Vus d'en haut, la scène d'exposition, le point culminant et le dénouement se déroulent tous en même temps. Dieu voit le futur tel que nous voyons le passé : à travers un trimetrogon. Au nom de l'appareil photo, de la pellicule et de la vue elle-même. Des éternités simultanées sont superposées pour créer l'illusion de plénitude mais la transposition de plans est un piètre substitut à la transmigration des âmes. Je pense qu'André Rublev dit *Rien n'est plus terrible que la neige qui tombe dans un temple*, parce que sans distinction entre intérieur et extérieur, il ne peut y avoir aucune rédemption extra-temporelle. Voilà, et aussi que le premier venu peut juste s'allonger et faire un ange, même un Tatar. Même un ange. »
X · 488 · L'Angle de lacet, Ben Lerner
P. 103
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« *Pendules*
Un Fameux possédait une pendule murale et toutes les semaines il la remontait AVEC SOIN. Vint à passer un Cronope qui le voyant se mit à rire, rentra chez lui et inventa la pendule-artichaut ou cynara car l'un et l'autre se dit ou se disent.
La pendule-artichaut de ce Cronope est un artichaut de la plus grande espèce fixé par sa tige à un trou dans le mur. Les innombrables feuilles de l'artichaut marquent l'heure présente mais aussi toutes les heures, de sorte que le Cronope pour savoir une heure n'a qu'à enlever une feuille. Comme il les enlève de gauche à droite, la feuille donne toujours l'heure exacte et chaque jour le Cronope enlève un nouveau rang de feuilles. Quand il arrive au cœur, le temps n'est plus mesurable et dans l'infinie rose violette du centre, le Cronope découvre un infini contentement, après quoi il la mange à la sauce vinaigrette et met une autre pendule dans le trou. »
IX · 477 · Cronopes et fameux, Julio Cortazár
Traduction de Laure Guille-Bataillon, Paris : 1977, Gallimard, nrf, "Du monde entier", p. 132.
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« Jake est fou, pas moyen de se souvenir depuis quand exactement les mots lui frappent la tête et cognent contre son front. Les tantes appellent ça des crises, elles prononcent le mot en soupirant, les yeux fixés au plafond. Il a les nerfs qui se contorsionnent et écorchent son visage parfois. Ses yeux aussi, le soir ou en pleine journée, il leur arrive de se tordre. Ensuite, il dort pendant plusieurs jours. La vitesse des pensées et celle des mots, celle de la langue, la vitesse des autres aussi, de leurs yeux et bouches, il vit des collisions en série. Alors il agite les bras, alors son torse convulse, ses lèvres disparaissent. »
IX · 470 · Walla Walla, Elsa Boyer
Paris : 2019, P.O.L, p. 39.
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« Ses nerfs crépitent, c'est si rapide entre ses yeux, son cerveau, sa bouche et ses mains, qu'en toutes choses il doit procéder avec lenteur, multiplier les détours. Autrement friction de pensées qui ne devraient pas se toucher, bouillie et consistance alarmante des émotions. »
IX · 470 · Walla Walla, Elsa Boyer
Paris : 2019, P.O.L, p. 49.
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« L'image semblait fugitive et permanente, comme mon ressenti du temps quand j'étais tout petit. Elle me rendait triste et heureux à la fois.
"Tout passe, Hiroto. Tu éprouves au fond de ton cœur ce qu'on appelle *mono no aware*, la sensibilité de l'éphémère. Le soleil, le pissenlit, la cigale, le Marteau, nous tous, sujets aux équations de James Clerk Maxwell, sommes des motifs transitoires destinés à disparaître, dans une seconde ou dans une éternité." »
IX · 414 · La Ménagerie de papier, Ken Liu
Traductions de Pierre-Paul Durastanti, Vincent Foucher, David Creuze, Olivier Girard et Quarante-Deux, harmonisées par Pierre-Paul Durastanti, Paris : 2015, Gallimard, "Folio SF", N°586, p. 408.
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« [...] Hayduke et ses amis mesuraient le temps de route en packs de six. [...] Le temps est relatif, avait dit Héraclite dans un passé lointain, et la distance dépend de la célérité. Le but ultime de la technologie des transports étant l'anéantissement de l'espace, la compression de tous les êtres en un point unique idéal, il s'ensuit que les packs de six sont d'un secours précieux. La vitesse est la drogue ultime et les fusées carburent à l'alcool. Hayduke avait bâti cette théorie tout seul, sans aucune aide extérieure. »
VIII · 371 · Le Gang de la clef à molette, Edward Abbey
Traduction de Jacques Mailhos, Paris : 2016, Gallmeister, "Totem", p. 34.
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« Tous les moments de notre vie me semblent alors réunis en un seul espace, comme si les évènements à venir existaient déjà et attendaient seulement que nous nous y retrouvions enfin, de même que, une fois que nous répondons à une invitation, nous nous retrouvons à l'heure dite dans la maison où nous devons nous rendre. Et ne serait-il pas pensable, poursuivit Austerlitz, que nous ayons aussi des rendez-vous dans le passé, dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, et que nous allions retrouver des lieux et des personnes qui, au-delà du temps d'une certaine manière, gardent un lien avec nous ? »
VIII · 361 · Austerlitz, W. G. Sebald
Traduction de Patrick Charbonneau, Paris : 2002, Actes Sud, "Babel", N°1187, p. 302.
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