N° 499 · Carnet X
Trois leçons de poétique
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Première publication : 1965
Lu du
12/03/2021 au 19/03/2021, à Rennes
Emprunté à quelqu'un
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« La troisième étape arrive je crois quand vous commencez à comprendre qu'il y a une différence entre vous et le Dehors de vous qui écrit des poèmes, lorsque vous vous sentez moins fier du poème que vous venez d'écrire et savez sacrément bien qu'il appartient à quelqu'un d'autre, que votre femme a eu l'enfant d'un autre père, et que cette femme là est à l'intérieur de vous, ce qui ruine complètement la métaphore.
Mais alors vous commencez à voir si vous pouvez vous débarrasser votre esprit des choses qui sont vous, les choses que vous voulez, et tout le reste. C'est parfois une lutte de douze heures pour obtenir un poème de dix vers, sans en changer un seul mot à mesure que vous l'écriviez, mais tout du long en cherchant à distinguer entre vous et le poème. La distinction absolue entre le Dehors et l'intérieur.
C'est là qu'apparaît l'analogie avec le medium, qu'initia Yeats, et que Cocteau dans *Orphée*, dans la pièce comme dans le film, matérialisa dans un auto-radio, mais qui pour l'essentiel est la même chose. À savoir qu'essentiellement vous êtes quelque chose à l'intérieur de quoi se produit une transmission, et plus vous tiendrez votre esprit à distance de vous, et plus aussi vous exercerez de censure — car il y aura toutes sortes de choses qui viendront de votre esprit, des choses que vous désirez, qui foutront le poème en l'air. »
P. 9
« Du moment que ça libère l'esprit de ce qu'on *voudrait* dire et laisse place à ce qu'il *faudrait* dire, ce que le poème attend de toi ce que tu dises, tout ce qui contribue à s'extraire du personnel est le bienvenu. »
P. 48
« Qu'une chose qui va se produire demain soit aujourd'hui dans le poème n'a rien de plus mystérieux qu'une chose qui s'est produite hier et qui est dans le poème aujourd'hui. Je veux dire que le futur, le passé et le présent sont en quelque manière enchevêtrés. »
P. 51
« La chose importante, c'est qu'on [le poète] n'est pas l'émetteur. On est le récepteur. Quand on est bon, on peut devenir aussi vide qu'un tube de radio ou qu'un transistor, ça dépend de ce qu'on utilise, et le message est reçu. Le message peut ne pas être important. Une grande partie de ce qui est reçu est sans importance, en tout cas à moi ça ne me semble pas important. Mais si vraiment ça passe, je le lis et relis pour voir si c'est important. Le fait qu'on n'ait rien à en faire, qu'on ne fait rien de plus que relayer quelque chose, ça ne me semble pas particulièrement perturbant. En tout cas, ça ne me perturbe pas. »
P. 88