∞-lecture

(V2.0)

Espace entre

Sentir le monde de biais

« Depuis mon enfance, j'avais désappris à voir les choses avec mes propres yeux et j'avais oublié qu'un jour le monde avait été jeune, intact, très beau et terrible. Je ne pouvais plus revenir en arrière, car je n'étais plus une enfant et je n'étais plus capable de sentir comme une enfant, mais la solitude me permettait parfois de voir encore une fois, sans souvenir ni conscience, la splendeur de la vie. »

X · 541 · Le Mur invisible, Marlen Haushofer

Traduction de Jacqueline Chambon et Liselotte Bodo, Paris : 1992, Actes Sud, "Babel", p. 245.

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« Il ne pouvait plus imaginer son propre corps, ni le sentir, comme on fait d'habitude. Dire : voilà mes bras, ma tête et mon ventre. Il avait une autre perception de lui-même. Il était un faisceau d'images. Il voyait des pays, plats comme des cartes à jouer, avec des arbres, des fermes, des champs et le serpent des routes aplatis en dessin sur le carton. Sur toutes ces cartes était la figure d'un homme ou d'une femme. »

X · 530 · Que ma joie demeure, Jean Giono

Paris : 1935, Éditions Bernard Grasset, "Le Livre de poche", N°493-494, p. 479.

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« Au moins, lorsqu'on ne comprend pas, il y a mystère, on peut croire qu'il y a quelque chose de caché derrière et au fond, qui peut soudain sortir et tout changer, mais quand on a l'explication, il reste plus rien, que des pièces détachées. Pour moi, l'explication, c'est le pire ennemi de l'ignorance. »

X · 529 · L'Angoisse du roi Salomon, Émile Ajar, Romain Gary

Paris : 1979, Gallimard, "Folio", N°1797, p. 16.

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« Tous les printemps qui lui restaient à vivre sur cette terre lui rappelleraient les premiers qu'elle avait vécus à l'éveil de sa compréhension, quand, pendant un moment fugitif, la vie brillait sur elle avec bienveillance, et qu'elle entrevoyait qu'il existait autre chose au-dessus de tout ce qui se passait, au-dessus de sa peur et du fouet de son papa sur des dos d'hommes si vieux que chacun d'entre eux aurait pu être son grand-père, et du malheur de sa mère, et des chants venus du fond de l'âme dans le coton blanc, quand toute cette blancheur semblait enfouir ceux qui travaillaient là, les y noyer, comme si le coton était une eau dont ils ne pouvaient pas sortir — au-dessus de tout cela, et échappant à cette règle, de telle sorte qu'il semblait à la petite enfant qu'elle était que le vrai maître, le maître pour de bon, disait, Je suis venu, petite, pour te faire savoir qu'il y a plus que tout cela, comme je te montre ces petites fleurs qui naissent partout pour que tu les regardes et que tu sentes leur parfum et que tu voies que ton papa n'y peut rien. »

X · 520 · La Marche, E. L. Doctorov

P. 255

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« De ce qu'il lui était arrivé plusieurs fois de trouver dans l'eau de mer parfaitement limpide d'assez gros animaux inattendus, de formes diverses, de l'espèce méduse, qui, hors de l'eau, ressemblaient à du cristal mou, et qui, rejetés dans l'eau, s'y confondaient avec leur monde, par l'identité de diaphanéité et de couleur, au point d'y disparaître, il concluait que, puisque des transparences vivantes habitaient l'eau, d'autres transparences, également vivantes, pouvaient bien habiter l'air. Les oiseaux ne sont pas les habitants de l'air ; ils en sont les amphibies.
Gilliatt ne croyait pas à l'air désert. Il disait : puisque la mer est remplie, pourquoi l'atmosphère serait-elle vide ? Des créatures couleur d'air s'effaceraient dans la lumière et échapperaient à notre regard ; qui nous prouve qu'il n'y en a pas ? L'analogie indique que l'air doit avoir des poissons comme la mer a les siens ; ces poissons de l'air seraient diaphanes, bienfait de la prévoyance créatrice pour nous comme pour eux ; laissant passer le jour à travers leur forme et ne faisant point d'ombre, et n'ayant pas de silhouette, ils resteraient ignorés de nous, et nous n'en pourrions rien saisir. Gilliat imaginait que si l'on pouvait mettre à sec l'atmosphère, et que si l'on pêchait l'air comme on pêche les étangs, on y trouverait une foule d'êtres surprenants. Et, ajoutait-il dans sa rêverie, bien des choses s'expliqueraient.
La rêverie, qui est la pensée à l'état de nébuleuse, confine au sommeil, et s'en préoccupe comme de sa frontière. L'air habité par des transparences vivantes, ce serait le commencement de l'inconnu : mais au-delà s'offre la vaste ouverture du possible. Là d'autres êtres, d'autres faits. Aucun surnaturalisme ; mais la continuation occulte de la nature infinie. »

X · 517 · Les Travailleurs de la mer, Victor Hugo

P. 110

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« You won't understand anything about the imagination until you realise that it's not about making things up, it's about perception. »

IX · 463 · The Book of Dust II – The Secret Commonwealth, Philip Pullman

Oxford : 2019, David Fickling Books, Penguin Books, p. 163.

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« "What's the best way of thinking about the secret commonwealth, then, Master Brabandt?"
"You gotta think about it the same way as if you want to see it. You got to look at it sideways. Out the corner of your eye. So you gotta think about it out the corner of your aye. It's there and it en't, both at the same time [...]. And if you want to think about them it don't do no good making lists and classifying and analysing. You'll just get a lot o'dead rubbish what means nothing. The way to think about the secret commonwealth is with stories. Only stories'll do." »

IX · 463 · The Book of Dust II – The Secret Commonwealth, Philip Pullman

Oxford : 2019, David Fickling Books, Penguin Books, p. 312.

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« Assis auprès de ses amis, l'oncle Saltiel sifflait faux. L'heure de joie était passée et il avait de nombreux créanciers. Il découvrait qu'il avait échoué dans toutes ses entreprises et qu'il n'était bon à rien. Il soupira, puis sourit à un papillon qui voletait maladroitement. Le ciel se fit beau de nouveau. Les amis restaient silencieux.
– Que de mots ! dit tout à coup Salomon.
– Que veux-tu dire, petit ignorant ? questionna Mangeclous.
– Je veux dire que de mots dans le monde, que de phrases, que de pensées ! Cela m'a frappé tout à coup.
– Mais que de silences aussi, dit Saltiel.
– En somme, qu'est-ce que la vérité ? demanda rêveusement Salomon.
– C'est ce qui est entre les mots, dit le petit oncle, et qu'on éprouve dans la joie.
Il se fit donner des boulettes de viande aux épinards, s'installa dans un coin d'ombre de la grande cour, mangea et s'endormit, un morceau de pain entre les dents. »

VIII · 341 · Solal, Albert Cohen

Paris : 1958, Gallimard, "Folio", N°1269, p. 53.

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