∞-lecture

(V2.1)

Écriture & création

« This book, like most of my books and stories, was a surprise. I began to learn the nature of such surprises, thank God, when I was fairly young as a writer. Before that, like every beginner, I thought you could beat, pummel, and thrash an idea into existence. Under such treatment, of course, any decent idea folds up its paws, turns on its back, fixes its eyes on eternity, and dies.
It was with great relief, then, that in my early twenties I floundered into a word-association process in which I simply got out of bed each morning, walked to my desk, and put down any word or series of words that happened along in my head.
I would then take arms against the word, or for it, and bring on an assortment of characters to weigh the word and show me its meaning in my own life. A hour or two later, to my amazement, a new story would be finished and done. The surprise was total and lovely. I soon found out that I would have to work this way for the rest of my life. »

X · 522 · Dandelion Wine, Ray Bradbury

New York : Bantam Books, 1976 (The Grand Master Editions), p. 7.

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« I write science-fiction, and science-fiction isn't about the future. I don't know any more about the future than you do, and very likely less. [...]
I am not predicting, or prescribing. I am describing. I am describing certain aspects of psychological reality in the novelist's way, which is by inventing elaborately circumstantial lies.
In reading a novel, any novel, we have to know perfectly well that the whole thing is nonsense, and then, while reading, believe every word of it. Finally, when we're done with it, we may find — if it's a good novel — that we're a bit different from what we were before we read it, that we have changed a little, as if by having met a new face, crossed a street we never crossed before. But it's very hard to say just what we learned, how we were changed.
The artist deals with what cannot be said in words. The artist whose medium is fiction does this *in words*. The novelist says in words what cannot be said in words.
Words can be used paradoxically because they have, along with a semiotic usage, a symbolical or metaphorical usage. (They also have a sound — a fact the linguistics positivists take no interest in. A sentence or a paragraph is like a chord or harmonic sequence in music: its meaning may be more clearly understood by the attentive ear, even though it is read in silence, rather than by the attentive intellect.)
All fiction is metaphor. Science-fiction is metaphor. What sets it apart from older forms of fiction seems to be its use of new metaphors, drawn from certain great dominants of our contemporary life — science, all the sciences and technology, and the relativistic and the historical outlooks, among them. Space travel is one of these metaphors ; so is an alternative society, an alternative biology ; the future is another. The future, in function, is a metaphor.
A metaphor for what?
If I could have said it non-metaphorically, I would not have written all these words, this novel ; and Genly Ai would never have sat down at my desk and used up my ink and typewriter ribbon in informing me, and you, rather solemnly, that the truth is a matter of the imagination. »

X · 508 · The left hand of darkness, Ursula K. Le Guin

P. 20

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« Elle fit toute sortes d'expériences et de tentatives pour arriver à décrire. Elle essaya d'inventer des mots, mais elle y renonça vite. La langue anglaise était sa matière, et il fallait accomplir sa tâche, résoudre ce problème au moyen de l'anglais ; l'emploi de mots fabriqués la choquait, c'était s'abandonner à l'émotionnalisme imitatif. »

X · 503 · Autobiographie d'Alice Toklas, Gertrude Stein

P. 130

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« Du moment que ça libère l'esprit de ce qu'on *voudrait* dire et laisse place à ce qu'il *faudrait* dire, ce que le poème attend de toi ce que tu dises, tout ce qui contribue à s'extraire du personnel est le bienvenu. »

X · 499 · Trois leçons de poétique, Jack Spicer

P. 48

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« Qu'une chose qui va se produire demain soit aujourd'hui dans le poème n'a rien de plus mystérieux qu'une chose qui s'est produite hier et qui est dans le poème aujourd'hui. Je veux dire que le futur, le passé et le présent sont en quelque manière enchevêtrés. »

X · 499 · Trois leçons de poétique, Jack Spicer

P. 51

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« La troisième étape arrive je crois quand vous commencez à comprendre qu'il y a une différence entre vous et le Dehors de vous qui écrit des poèmes, lorsque vous vous sentez moins fier du poème que vous venez d'écrire et savez sacrément bien qu'il appartient à quelqu'un d'autre, que votre femme a eu l'enfant d'un autre père, et que cette femme là est à l'intérieur de vous, ce qui ruine complètement la métaphore.
Mais alors vous commencez à voir si vous pouvez vous débarrasser votre esprit des choses qui sont vous, les choses que vous voulez, et tout le reste. C'est parfois une lutte de douze heures pour obtenir un poème de dix vers, sans en changer un seul mot à mesure que vous l'écriviez, mais tout du long en cherchant à distinguer entre vous et le poème. La distinction absolue entre le Dehors et l'intérieur.
C'est là qu'apparaît l'analogie avec le medium, qu'initia Yeats, et que Cocteau dans *Orphée*, dans la pièce comme dans le film, matérialisa dans un auto-radio, mais qui pour l'essentiel est la même chose. À savoir qu'essentiellement vous êtes quelque chose à l'intérieur de quoi se produit une transmission, et plus vous tiendrez votre esprit à distance de vous, et plus aussi vous exercerez de censure — car il y aura toutes sortes de choses qui viendront de votre esprit, des choses que vous désirez, qui foutront le poème en l'air. »

X · 499 · Trois leçons de poétique, Jack Spicer

P. 9

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« La chose importante, c'est qu'on [le poète] n'est pas l'émetteur. On est le récepteur. Quand on est bon, on peut devenir aussi vide qu'un tube de radio ou qu'un transistor, ça dépend de ce qu'on utilise, et le message est reçu. Le message peut ne pas être important. Une grande partie de ce qui est reçu est sans importance, en tout cas à moi ça ne me semble pas important. Mais si vraiment ça passe, je le lis et relis pour voir si c'est important. Le fait qu'on n'ait rien à en faire, qu'on ne fait rien de plus que relayer quelque chose, ça ne me semble pas particulièrement perturbant. En tout cas, ça ne me perturbe pas. »

X · 499 · Trois leçons de poétique, Jack Spicer

P. 88

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« "[...] Oui, on ne peut nier que vous avez une certaine imagination. Mais, vouyez-vous, au bout du compte, on a l'impression que vous écrivez toujours les mêmes choses."
Lorsque j'entends ça, moi, naturellement, je me tais et j'encaisse. Est-ce qu'un éccrivain peut répondre à des critiques de ce genre ? Au plus secret de moi-même, je voudrais répondre : mais tous les écrivains et les artistes, dans leur vie, aussi longue qu'elle puisse être, ne disent qu'une seule chose ! Certains avec beaucoup de souffle, d'autres avec beaucoup moins, mais ils sont toujours identiques à eux-mêmes. Forcément. Autrement, ils ne seraient pas sincères. Est-ce que, du reste, le style par lequel on distingue la personnalité d'un écrivain n'implique pas une certaine uniformité, ou mieux, une unité de ton ? Et puis, pourquoi ces prétention absurdes à notre égard, nous qui écrivons ? »

IX · 473 · Nous sommes au regret de..., Dino Buzzati

Traduction d'Yves Panafieu, Paris : 1982, Éditions Robert Laffont, "Pavillons", p. 119.

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« Écris, je t'en prie. Deux lignes suelement, au moins cela, même si ton esprit est bouleversé et tes nerfs ne tiennent plus. Mais chaque jour. En serrant les dents, peut-être des idioties dépourvues de sens, mais écris. L'écriture est l'une de nos illusions les plus ridicules et pathétiques. Nous croyons faire une chose importante lorsque nous traçons des lignes noires qui sur le papier blanc se contorsionnent. De toute façon, c'est là ton métier, que tu n'as pas choisi toi-même, qui t'a été attribué par le sort, c'est la seule porte par laquelle, éventuellement, tu pourras t'échapper. Écris, écris. À la fin, parmi des tonnes de papier à jeter, une ligne pourra être sauvée. (Peut-être). »

IX · 473 · Nous sommes au regret de..., Dino Buzzati

Traduction d'Yves Panafieu, Paris : 1982, Éditions Robert Laffont, "Pavillons", p. 132.

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« Le plus souvent, ces rêveries déliées et vagues me ramenaient invariablement au livre que j'étais en train de concevoir. J'essayais dans ma tête de raccorder les épisodes dont j'avais encore à tracer le récit, ou bien je m'efforçais de déchiffrer les correspondances dont le fil me semblait courir sous la suite de mes aventures et se dérober à toutes mes tentatives pour le saisir ; j'allais même parfois jusqu'à me figurer le livre achevé et à spéculer sur le sort qui pourrait être le sien dans le monde. Mais la pente la plus constante de mes réflexions me ramenait à un unique et insoluble problème. Je sentais le désir de doter ce que j'écrivais d'une épaisseur ; je ne voulais pas qu'il fût l'impression ou la matérialisation d'un discours tout uniment filé, mais qu'on y sente l'ombre, la résonance, l'opacité énigmatique d'une chose. Or, je ne pouvais me résoudre à aucun artifice en faveur de cette exigence dont j'ignorais le fondement. »

IX · 438 · Les Jardins statuaires, Jacques Abeille

Paris : 2010, Attila, "Folio", N°5401, p. 441.

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« Il arrive que l'on passe ainsi de ces journées qui sont légères parce qu'on a trouvé la source assurée d'un projet qui ne peut plus manquer de suivre son cours. Alors toute hâte cesse, chaque geste retrouve son juste poids, et l'on vit sous le charme d'une promesse dont on sent bien que rien ne pourra la détourner. À chaque instant je savais de nouveau avec une certitude plus ample que les mots s'assembleraient d'eux-mêmes, sans que j'aie un seul instant à y mêler les maladresses du talent. Il suffisait de les laisser mûrir. »

IX · 438 · Les Jardins statuaires, Jacques Abeille

Paris : 2010, Attila, "Folio", N°5401, p. 478.

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« [...] j'entrepris de dévider l'histoire la plus invraisemblable que j'ai j'amais contée : celle du canard Sridanok et de Mallalla la mer. L'enfant, de temps à autre, me posait une question. Je ne pris pas garde d'abord à cette façon d'exiger des précisions, mais peu à peu, je me rendis compte que mon imagination suivait le rythme de ses questions et, en quelque sorte, s'en nourrissait de telle manière qu'il me sembla bientôt n'être plus que le relais d'une histoire que la petite fille appelait et qui devait errer dans l'obscurité qui nous enveloppait, attendant de passer à travers ma voix, sans que ma volonté influât en rien sur son cours. »

IX · 438 · Les Jardins statuaires, Jacques Abeille

Paris : 2010, Attila, "Folio", N°5401, p. 452.

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« Pour faire bref, disons que j'avais toujours écrit, et que j'allais bientôt en arriver au point où il allait falloir publier ou capituler. On ne peut pas se contenter de remplir le grenier de manuscrits. L'art, comme le sexe, ne peut pas être pratiqué indéfiniment en solo ; d'ailleurs, l'un et l'autre ont le même ennemi, la stérilité. »

IX · 420 · Le Langage de la nuit, Ursula K. Le Guin

Traduction de Francis Guévremont, Paris : 2016, Aux Forges de Vulcain, "Le Livre de poche", N°34957, p. 20.

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« Je commençais enfin à trouver mes repères dans ce nouveau medium [la science-fiction]. Je cherchai donc à repousser encore plus, dans mes romans suivants, mes propres limites, et les limites de la science-fiction. Car c'est en cela que consiste la pratique d'un art – la recherche constante de l'ultime frontière. Quand on l'atteint, on crée quelque chose d'entier, de solide, de réel, de beau ; autrement, cela reste inachevé. »

IX · 420 · Le Langage de la nuit, Ursula K. Le Guin

Traduction de Francis Guévremont, Paris : 2016, Aux Forges de Vulcain, "Le Livre de poche", N°34957, p. 22.

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« Après tout, l'écriture n'est pas qu'un acte créateur ; c'est aussi un acte réactif. En l'absence de toute véritable contrepartie, en l'absence, par conséquent, d'un véritable sentiment de responsabilité, il est évident que certains écrivains ne font que se pasticher eux-mêmes – ou pasticher les autres. »

IX · 420 · Le Langage de la nuit, Ursula K. Le Guin

Traduction de Francis Guévremont, Paris : 2016, Aux Forges de Vulcain, "Le Livre de poche", N°34957, p. 24.

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« Néanmoins, plus on lit, plus on enseigne, plus on parle aux autres écrivains, et plus on en arrive à avoir une sorte d'intuition des techniques. Et la technique la plus différente de la mienne, la plus éloignée, est précisément celle qui consiste à établir des plans préliminaires, des listes et des descriptions – à tout noter dans un carnet, à décrire les personnages avant même d'avoir commencé à écrire le récit : combien pèse William, où a-t-il été à l'école, comment préfère-t-il se coiffer, quels sont ses traits dominants, etc.
J'utilise moi aussi des carnets ; je m'en sers pour jouer avec des idées d'intrigues, comme un chien avec de vieux os. Je grogne, je gruge, j'enterre mes idées pour les déterrer plus tard.Je m'en sers aussi pour noter des détails à propos d'un personnage, surtout dans l'écriture d'un roman. J'ai une très mauvaise mémoire, et si je viens de remarquer quelque chose chez un personnage, alors que ce n'est pas le bon moment pour l'inclure dans le livre, j'en prends note pour pouvoir y revenir plus tard. Généralement, une note ressemble à ceci : "W n'm pas l'ing. de H. – repr.!!"
Puis je perds toute trace de cette note.
En tous cas, je n'écris pas de description à l'avance. En fait, je me sentirais ridicule si je le faisais, j'en aurais presque honte. Si le personnage ne m'apparaît pas assez clairement pour savoir tous ces détails à son sujet, de quel droit oserais-je l'inclure dans mon récit ? [...]
Si William est un personnage qui vaut la peine qu'on s'y intéresse, alors il existe. Il existe dans ma tête, certes, mais de plein droit, et il possède sa propre vitalité. Je n'ai qu'à bien le regarder, je n'ai nul besoin de le planifier, de le composer à partir de pièces recueillies à gauche et à droite, d'en faire l'inventaire. Je le trouve. »

IX · 420 · Le Langage de la nuit, Ursula K. Le Guin

Traduction de Francis Guévremont, Paris : 2016, Aux Forges de Vulcain, "Le Livre de poche", N°34957, p. 44.

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« En liaison avec la compréhension du monde attendue de la littérature, on peut avancer qu'il n'y d'écrivains qu'engagés, car [...] le monde n'a pas de signification en soi et peut-être pas d'existence réelle, il n'existe que dans le regard des hommes et seulement à partir du moment où ceux-ci trouvent le mot idoine pour le nommer et l'insérer dans un récit signifiant. En nommant, ils engagent leur responsabilité devant les hommes. »

VIII · 390 · Fictions – Penser le monde par la littérature, Erri De Luca, Petros Markaris, Kim Thúy

"Écrire dans la violence du monde", Boualem Sansal, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 92.

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« Je ne suis pas même un écrivain qualifié ; je ne suis qu'un écrivain en plein apprentissage de son métier et en pleine découverte de la trame, de la structure et de l'articulation du langage qu'il me faut découvrir pour faire le travail que je veux faire. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 5.

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« L'affreuse et totale nudité de la publication, cette chose qui pour nous tous s'apparente tellement à la honte, se rapprochait chaque jour. Je n'arrivais pas à croire que j'avais souhaité être exposé ainsi. J'eus l'impression de m'être exhibé sans pudeur ; pourtant, cette drogue subtile faite de mon désir et de ma créativité m'hypnotisait comme un serpent, et je ne pouvais faire autrement. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 12.

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« [...] on n'écrit pas un livre pour s'en souvenir, mais pour l'oublier, ce qui semblait évident maintenant. Dès que le livre fut imprimé, je commençai à l'oublier, je voulais l'oublier, je ne voulais pas que les gens m'en parlent ou m'interrogent. Je voulais seulement qu'ils me laissent tranquille et qu'ils la bouclent sur cette question. Pourtant je désirais ardemment que mon livre ait du succès. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 15.

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« [...] les minces facultés critiques que j'avais pu avoir envers mon propre travail avaient été sérieusement amoindries, pour un certain temps du moins, par le labeur frénétique des quatre dernières années. Quand l'œuvre d'un homme s'est déversée hors de lui pendant presque cinq ans comme la lave en fusion d'un volcan, quand tous ses éléments, aussi superflus soient-ils, ont reçu le feu et la passion de l'extrême chaleur de sa propre énergie créatrice, il lui est soudain très difficile d'adopter une froideur chirurgicale et un détachement impitoyable. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 55.

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« En rentrant chez moi le soir, je jetais un coup d'œil à ma chambre et je voyais la tasse de café du matin qui n'avait pas été lavée, des livres par terre, une chemise là où je l'avais jetée la nuit d'avant et de grandes piles de manuscrits, et toute cette pièce à l'allure si ordinaire, familière, si désordonnée, et je me disais que j'étais désormais un "jeune auteur américain" ; que d'une certaine manière, j'étais une sorte d'imposteur à l'égard de mes lecteurs et de mes critiques à cause de l'état de ma chemise, de mes livres et de mon lit – ce n'était pas, vous comprenez, parce qu'ils étaient désordonnés, ordinaires et familiers, mais simplement à cause de l'aspect qu'ils avaient. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 14.

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« Quoi qu'il en soit, pendant que le tourbillon émotionnel créé par mon premier livre absorbait ma vie et mon énergie, je n'avançais pratiquement pas dans l'écriture du deuxième. Et j'étais maintenant confronté à un autre problème auquel tout jeune écrivain doit directement faire face s'il veut pouvoir continuer. Comment doit-il écrire ? Combien de temps doit-il consacrer à l'écriture, et à quel rythme faut-il écrire ? Quel genre de méthode éventuelle doit-il suivre dans son travail ? Je me retrouvai soudain nez à nez avec la nécessité peu réjouissante d'une travail constant et quotidien. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 21.

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« Le but vers le quel devait désormais tendre toute l'énergie de ma vie et de mon talent se présentait ainsi : c'était comme si j'avais découvert un nouvel univers d'éléments chimiques, et que j'avais commencé à voir entre eux certaines relations, mais que je n'avais encore rien fait pour organiser un assemblage harmonieux de toute cette multitude. Je pense que l'on peut décrire les efforts que j'ai j'aits à partir de ce moment-là comme une tentative pour compléter cette organisation, pour découvrir cette articulation à laquelle j'aspirais et pour parvenir à cet assemblage harmonieux et final. Je sais que jusqu'ici, j'ai échoué à ma tache, mais je pense comprendre assez bien où se situe la nature de mon échec, et mon espoir le plus profond, le plus sérieux, est bien sûr d'arriver au jour où je n'échouerai pas. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 27.

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« Je n'étais pas, selon lui, un auteur flaubertien. Je n'étais pas un perfectionniste. J'avais en moi vingt, trente livres, ou plus encore, et le plus important était de les produire et de ne pas passer le reste de ma vie à n'en peaufiner qu'un seul. Il convint qu'avec six mois de travail supplémentaire j'aurais peut-être atteint une certaine complétion et un certain aboutissement, mais le bénéfice aurait selon lui été loin d'être aussi grand que ce que je pensais, et sa propre conviction profonde était qu'il fallait publier le livre immédiatement sans plus de délai, qu'il fallait m'en libérer, l'oublier pour tourner ma vie vers l'achèvement définitif du travail qui était déjà préparé et qui m'attendait. »

VIII · 384 · L'Histoire d'un roman, Thomas Wolfe

Traduction de Matthieu Gouet, Paris : 2016, Éditions Sillage, p. 59.

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« En réalité, les êtres de fiction ne tirent pas leur substance d'[un] partage social, même s'ils s'y insèrent. Ce qui les fait exister, ce sont nos croyances. Si Don Quichotte ou Swann existent, c'est par notre "sollicitude" dit Souriau ; c'est elle qui les fait exister d'abord. Si Souriau les définit comme des êtres "sollicitudinaires" plutôt que comme des imaginaires, c'est dans la mesure où leur existence est suspendue aux affects, qui participent à leur instauration. »

VIII · 380 · Les Existences moindres, David Lapoujade

Paris : 2017, Les Éditions de Minuit, p. 29.

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« Borges, et c'est cela qui fait que ses contes valent mieux que ses traités, Borges ne croit pas forcément à ce qu'il raconte. On pourrait dire que c'est une manière de mensonge, mais c'est le propre de la fiction : nous inventons des histoires, auxquelles nous ne croyons pas, mais qui nous permettent de dire ce que nous ne pourrions pas dire autrement. »

VIII · 365 · Des monstres littéraires, Jérôme Orsoni

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 125.

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« [...] je me dis qu'il est tout à fait possible que nous n'écrivions pas des histoires pour en venir à bout, c'est-à-dire : pour les raconter. Il est tout à fait possible que nous écrivions des histoires parce que ce sont des compagnies. Avec les histoires, nous nous sentons moins seuls. Ce n'est pas l'histoire, son sens, qui importe, du moins, ce n'est pas seulement cela qui importe – d'autant que le sens d'une histoire est soumis à l'interprétation –, c'est le fait de vivre avec elle. Et alors, je parviens à comprendre pourquoi les lecteurs aiment tant les hsitoires : ce n'est pas parce qu'ils aiment qu'on leur raconte des histoires, ce n'est pas parce qu'ils cherchent à comprendre un sens qui leur aurait échappé avant de lire ou de s'entendre raconter l'histoire. Non, c'est pour se sentir moins seul.
Enfant, nous aimions les histoires parce que nous aimions la présence de nos parents à nos côtés avant de nous endormir. Et je me dis, dès lors, que si n'ai jamais tant aimé les histoire que cela , c'est parce que je ne me sentais pas seul, ou bien parce que j'aimais la solitude. Si je finis par en écrire, c'est parce que je veux comprendre la solitude. C'est ça : nous racontons des histoires pour comprendre la solitude. »

VIII · 365 · Des monstres littéraires, Jérôme Orsoni

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 31.

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« "Je suis une blonde peroxydée au pays des possibles." C'est ainsi que j'ai commencé à écrire sur les vitres. Je ne savai pas trop ce que cela pouvait bien vouloir dire. Mais je savais que c'était vrai. Au pays des possibles, en un sens, tout et vrai. C'est donc ce que j'avais écrit pour commencer. Et puis, je l'effaçai. Et puis de nouveau la même phrase. Et ainsi de suite, un certain nombre de fois. À vrai dire, cette phrase, c'était un essai, plutôt que de la littérature, un essai d'effacement, une épreuve des mérites respectifs du produit pour les vitres et du savon noir liquide. Au bout de quelques écritures, je laissai sécher pour la nuit, afin de voir, le lendemain, lequel de ces deux liquides se révèlerait le plus efficace pour l'effacement de ma prose. La littérature, on n'y pense pas souvent, il faut la laisser sécher, on l'apprécie mieux, d'autant qu'on parvient à la faire disparaître. En attendant le lendemain, je me couchai. »

VIII · 365 · Des monstres littéraires, Jérôme Orsoni

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 43.

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« J'ai besoin de lire, j'ai besoin d'écrire, mais j'ai tout aussi besoin de me promener. Et comme c'est fréquent, si nous ne résolvons pas nécessairement nos problèmes en nous promenant, nous mettons cependant que nous marchons quelques-unes de nos idées au clair, nous n'y mettons pas forcément de l'ordre, mais nous leur donnons de l'air. Nous passons notre temps, nous qui aimons lire et écrire, à rechercher des significations. Mais nous avons aussi besoin de les aérer pour ne pas sombrer dans le plus grand des malheurs (ou la folie, mais il me semble que c'est la même chose vue selon deux perspectives différentes). »

VIII · 365 · Des monstres littéraires, Jérôme Orsoni

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 165.

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« Comment ? On peut commencer une histoire par le milieu puis, d'une démarche hardie, embrouiller le début et la fin. On peut adopter le genre moderne, effacer les époques et les distances et proclamer ensemble, ou laisser proclamer qu'on a résolu enfin le problème de l'espace-temps. On peut aussi déclarer d'emblée que de nos jours il est impossible d'écrire un roman puis, à son propre insu si j'ose dire, en pondre un bien épais afin de se donner l'air d'être le dernier des romanciers possibles. Je me suis également laissé dire qu'il est bon et décent de postuler d'abord : il n'y a plus de héros de roman parce qu'il n'y a plus d'individualistes, parce que l'individualité se perd, parce que l'homme est seul, que tout homme est pareillement seul, privé de la solitude individuelle, et forme une masse solitaire anonyme et sans héros. Après tout, ce n'est pas impossible. »

VIII · 358 · Le Tambour, Günter Grass

Traduction de Jean Amsler, Paris : 1997, Le Seuil, "Points", N°347, p. 11.

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