N° 473 · Carnet IX
Nous sommes au regret de...
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Première publication : 1960
Lu du
04/04/2020 au 08/04/2020, à Rennes
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« Lorsque, au plus fort de la fête, merveilleusement ivres, nous nous sentons presque les maîtres du monde, il peut arriver que nous soyons obligés d'abandonner le salon du Grand Hôtel (ou du chpateau au bord de la mer) et que nous nous retirions furtivement dans ce qu'il est convenu d'appeler les toilettes. Sans crainte nous y entrons pour nous soulager ; quel danger pourrait-il bien y avoir dans ce paisible refuge ? Mais ici ne resplendissent plus ples femmes nis les chrysoprases ; plus de musique, de danses et de rires (car tout cela est resté de l'autre côté de la porte à vitrage, étrangement éloigné). Plutôt la solitude et la paix, comme dans un temple abandonné. L'écho incertain des sons y parvient au travers des murs, faible rappel. Mais dans les miroirs un visage à la fois très vieux et nouveau nous contemple ; jamais, cependant, il ne nous était apparu aussi pâle, sarcastique et, dans l'ensemble, désolé. Et venu du profond silence, par-dessus le pâle écho du tango, le murmure de l'eau glissant le long des grands urinoirs de faïence, nous prenant par traîtrise, nous parle sur un ton humble et amical et nous rappelle, avec bonhomie, les misères de l'homme et les espérances perdues. Parfois même une canalisation gargouille, on ne sait où, et en termes vagues fait allusion au lendemain, tel qu'il sera. La domination du monde nous échappe, et comme la voix des urinoirs continue de fouiller dans nos amères pensées, nous secouons la tête avec l'intention de voir l'autre type dans le miroir, avec sa tête d'abruti, nous faire signe que non.
Il est trop tard pour fuir et retourner de l'autre côté, intact. Avec quel cynisme l'ami avec son frac, qui nous ressemble tellement, nous fixe depuis le miroir. »
Traduction d'Yves Panafieu, Paris : 1982, Éditions Robert Laffont, "Pavillons", p. 97.
« "[...] Oui, on ne peut nier que vous avez une certaine imagination. Mais, vouyez-vous, au bout du compte, on a l'impression que vous écrivez toujours les mêmes choses."
Lorsque j'entends ça, moi, naturellement, je me tais et j'encaisse. Est-ce qu'un éccrivain peut répondre à des critiques de ce genre ? Au plus secret de moi-même, je voudrais répondre : mais tous les écrivains et les artistes, dans leur vie, aussi longue qu'elle puisse être, ne disent qu'une seule chose ! Certains avec beaucoup de souffle, d'autres avec beaucoup moins, mais ils sont toujours identiques à eux-mêmes. Forcément. Autrement, ils ne seraient pas sincères. Est-ce que, du reste, le style par lequel on distingue la personnalité d'un écrivain n'implique pas une certaine uniformité, ou mieux, une unité de ton ? Et puis, pourquoi ces prétention absurdes à notre égard, nous qui écrivons ? »
Traduction d'Yves Panafieu, Paris : 1982, Éditions Robert Laffont, "Pavillons", p. 119.
« Écris, je t'en prie. Deux lignes suelement, au moins cela, même si ton esprit est bouleversé et tes nerfs ne tiennent plus. Mais chaque jour. En serrant les dents, peut-être des idioties dépourvues de sens, mais écris. L'écriture est l'une de nos illusions les plus ridicules et pathétiques. Nous croyons faire une chose importante lorsque nous traçons des lignes noires qui sur le papier blanc se contorsionnent. De toute façon, c'est là ton métier, que tu n'as pas choisi toi-même, qui t'a été attribué par le sort, c'est la seule porte par laquelle, éventuellement, tu pourras t'échapper. Écris, écris. À la fin, parmi des tonnes de papier à jeter, une ligne pourra être sauvée. (Peut-être). »
Traduction d'Yves Panafieu, Paris : 1982, Éditions Robert Laffont, "Pavillons", p. 132.