N° 497 · Carnet X
Les Vagues
,
,
Première publication : 1931
Lu du
09/02/2021 au 24/02/2021, à Rennes, Lannilis
Dans la bibliothèque
︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾.︾
« Moi, je ne m'attache qu'aux noms et aux visages ; je les accumule comme des amulettes contre le désastre. Je choisis au fond de la salle un visage inconnu et j'ai du mal à boire mon thé quand celle dont j'ignore le nom vient s'asseoir en face. Je tousse. Je vacille sous la violence de l'émotion. J'imagine ces gens sans nom et sans tache qui m'observent derrière les buissons. Je saute haut pour susciter leur admiration. La nuit, dans mon lit, je provoque leur émerveillement. Je meurs souvent, percée de flèches, pour gagner leurs larmes [...]. C'est pourquoi je déteste les glaces qui me montrent mon vrai visage. Seule, je tombe souvent dans le néant. Il faut que je pose doucement le pied pour ne pas glisser au bord du monde. Que je heurte le bois dur d'une porte pour revenir à mon corps. »
P. 65
« Quand nous nous réunissons et que les bords de la rencontre sont encore coupants, il y a toujours quelqu'un qui refuse d'être submergé, dont on peut enfouir l'identité sous la sienne. »
P. 203
« [...] je suis loin de pouvoir élargir les cercles d'une compréhension qui embarrasserait enfin (j'en rêve en tombant du bord de la terre, la nuit, lorsque mon lit flotte en suspens) le monde entier car il faut en passer par les bouffonneries de l'individuel. Cela commence quand vous me jetez à la tête vos enfants, vos poèmes, vos engelures, tout ce que vous faites, et subissez. Mais je suis sans illusion. Après avoir été sollicitée de toutes parts, fouillée, déchirée, je tomberai seule au travers du draps mince dans des abîmes de flammes. Vous ne m'aiderez pas. Plus cruels que les anciens tortionnaires, vous me laisserez tomber et quand je serai tombée, vous me mettrez en pièces. Pourtant il y a des moments où les parois s'amincissent ; où la pensée absorbe tout et j'imagine que nous soufflerions une bulle si immense que le soleil pourrait s'y coucher, se lever, et larguant ainsi les amarres, avec le bleu de midi et le noir de minuit, nous échapperions à ici et maintenant. »
P. 213