∞-lecture

(V2.0)

N° 365 · Carnet VIII

Des monstres littéraires

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Première publication : 2015

Lu du 04/04/2017 au 10/04/2017, à Besançon, Chateaumeillant, Rennes

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« [...] je me dis qu'il est tout à fait possible que nous n'écrivions pas des histoires pour en venir à bout, c'est-à-dire : pour les raconter. Il est tout à fait possible que nous écrivions des histoires parce que ce sont des compagnies. Avec les histoires, nous nous sentons moins seuls. Ce n'est pas l'histoire, son sens, qui importe, du moins, ce n'est pas seulement cela qui importe – d'autant que le sens d'une histoire est soumis à l'interprétation –, c'est le fait de vivre avec elle. Et alors, je parviens à comprendre pourquoi les lecteurs aiment tant les hsitoires : ce n'est pas parce qu'ils aiment qu'on leur raconte des histoires, ce n'est pas parce qu'ils cherchent à comprendre un sens qui leur aurait échappé avant de lire ou de s'entendre raconter l'histoire. Non, c'est pour se sentir moins seul.
Enfant, nous aimions les histoires parce que nous aimions la présence de nos parents à nos côtés avant de nous endormir. Et je me dis, dès lors, que si n'ai jamais tant aimé les histoire que cela , c'est parce que je ne me sentais pas seul, ou bien parce que j'aimais la solitude. Si je finis par en écrire, c'est parce que je veux comprendre la solitude. C'est ça : nous racontons des histoires pour comprendre la solitude. »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 31.

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« "Je suis une blonde peroxydée au pays des possibles." C'est ainsi que j'ai commencé à écrire sur les vitres. Je ne savai pas trop ce que cela pouvait bien vouloir dire. Mais je savais que c'était vrai. Au pays des possibles, en un sens, tout et vrai. C'est donc ce que j'avais écrit pour commencer. Et puis, je l'effaçai. Et puis de nouveau la même phrase. Et ainsi de suite, un certain nombre de fois. À vrai dire, cette phrase, c'était un essai, plutôt que de la littérature, un essai d'effacement, une épreuve des mérites respectifs du produit pour les vitres et du savon noir liquide. Au bout de quelques écritures, je laissai sécher pour la nuit, afin de voir, le lendemain, lequel de ces deux liquides se révèlerait le plus efficace pour l'effacement de ma prose. La littérature, on n'y pense pas souvent, il faut la laisser sécher, on l'apprécie mieux, d'autant qu'on parvient à la faire disparaître. En attendant le lendemain, je me couchai. »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 43.

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« C'était comme à la veille de ces jours qu'on a attendus durant des semaines, voire des mois, comme lorsque nous étions enfants, à la veille du départ en vacances, quand ces évènements que nous avions tant désirés, nous n'en voulions plus au moment même où ils allaient avoir lieu. Nous désirions l'idée de l'évènement, sa réalisation n'étant en fait qu'une fiction pour que nous puissions vivre plus intensément. »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 52.

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« Je ne sais pas ce que c'est qu'être écrivain, et je crois que c'est mieux ainsi – non que je ne parvienne pas à définir ce que c'est, en général, qu'un écrivain, mais je ne me résous pas à écrire sur une carte de visite mentale ou réelle, comme une profession : *écrivain*. Ou, du moins, je n'arrive pas à me défaire de l'idée que c'est franchement vulgaire. J'aime surtout cette idée parce qu'il me semble qu'il n'y a pas de solution de continuité entre la littérature – je pourrais tout aussi bien dire l'art – et le reste des activités. Il m'a toujours semblé qu'un bon écrivain est quelqu'un qui aurait pu tout aussi bien être un bon garagiste, mais qui a été conduit par des circonstances diverses qui font sa biographie à écrire des livres plutôt qu'à réparer des voitures en panne. »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 94.

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« Borges, et c'est cela qui fait que ses contes valent mieux que ses traités, Borges ne croit pas forcément à ce qu'il raconte. On pourrait dire que c'est une manière de mensonge, mais c'est le propre de la fiction : nous inventons des histoires, auxquelles nous ne croyons pas, mais qui nous permettent de dire ce que nous ne pourrions pas dire autrement. »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 125.

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« J'ai besoin de lire, j'ai besoin d'écrire, mais j'ai tout aussi besoin de me promener. Et comme c'est fréquent, si nous ne résolvons pas nécessairement nos problèmes en nous promenant, nous mettons cependant que nous marchons quelques-unes de nos idées au clair, nous n'y mettons pas forcément de l'ordre, mais nous leur donnons de l'air. Nous passons notre temps, nous qui aimons lire et écrire, à rechercher des significations. Mais nous avons aussi besoin de les aérer pour ne pas sombrer dans le plus grand des malheurs (ou la folie, mais il me semble que c'est la même chose vue selon deux perspectives différentes). »

Paris : 2015, Actes Sud, "Un endroit où aller", p. 165.

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