N° 349 · Carnet VIII
Continents à la dérive
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Première publication : 1985
Lu du
28/11/2016 au 05/12/2016, à Rennes, Arles
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« Car, comme la plupart des gens, Bob a du mal à savoir ce qui est bien et ce qui est mal. Il se repose sur des tabous et sur les circonstances pour ajuster son comportement de façon à être "quelqu'un de bien", de sorte que les rares fois où ni les tabous ni les circonstances ne l'empêchent de satisfaire un appétit et qu'il ne le satisfait donc pas ou n'essaie même pas de le satisfaire, il ne sait plus que penser de lui-même. Il ne sait pas s'il a été quelqu'un de bien ou simplement un imbécile ou un poltron. Comme Bob, la plupart de ceux qui ne fréquentent plus l'Église depuis l'enfance se retrouvent de temps à autre dans cette position où ils ne savent pas s'ils ont été quelqu'un de bien, un imbécile ou un poltron, et l'anxiété qui en découle les oblige à cesser de se poser la question le plus vite possible, à l'enterrer de la même façon que des chiens enterrent un os dont ils marquent l'emplacement en se promettant d'y retourner plus tard quand ils auront le temps et l'energie de le ronger, promesse évidemment jamais tenue et d'ailleurs rarement faite avec l'intention de la tenir. Un des côtés les plus attirants de Bob, cependant, c'est qu'il rechigne à enterrer ce os, qu'il est disposé à continuer à les ronger pendant la nuit, seul et en silence, à les retourner sans cesse en tous sens jusqu'à ce qu'ils soient enfin secs, et blanchis et, sous un certain éclairage, un peu fantomatiques. Sa mémoire est encombrée de ces os, comme la crypte médiévale d'une église, et ils confère à son allure, à son attitude, une sorte de mélancolie qui attire des gens plus éduqués ou plus raffinés que lui. »
Traduction de Pierre Furlan, Paris : 2016, Actes Sud, "Lettres anglo-américaines", p. 81.
« On écrit des livres – des romans, des histoires et des poèmes – bourrés de détails qui veulent nous dire ce qu'est le monde, comme si notre connaissance de personnes telles que Bob Dubois et Vanise et Claude Dorsinville allait libérer des gens comme eux. Elle ne le fera pas. Connaître les faits de la vie et de la mort de Bob ne change rien au monde. Mais le fait de célébrer sa vie et de pleurer sa mort, en revanche, changera quelque chose. La joie et le chagrin que nous inspirent des vies autres que la nôtre, y compris des vies entièrement inventées – non, surtout des vies entièrement inventées –, privent le monde tel qu'il est d'un peu de cette cupidité dont il a besoin pour continuer à être lui-même. Va, mon livre, et contribue à détruire le monde tel qu'il est. »
Traduction de Pierre Furlan, Paris : 2016, Actes Sud, "Lettres anglo-américaines", p. 443.