∞-lecture

(V2.0)

N° 442 · Carnet IX

Bécon-les-Bruyères

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Première publication : 1927

Lu du 05/06/2019 au 08/06/2019, à Transilien Marly - Paris

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« Il est des gens qui travaillent à Bécon-les-Bruyères et déjeunent à Paris. Tous ceux qui font le contraire songent à ces fameuses mutations de la guerre, à cet espoir, irréalisable, de changer se situation avec celle d'un autre qui conviendrait mieux, à la personne charitable qui vous sauverait si elle vous connaissait mais qui cesse d'exister dès qu'on lui parle, à tout ce qu'il y auraut de bonheur sans l'impossibilité de joindre ce qui devrait être joint. Ils songent aussi à la jeune femme qui aimerait un vieux monsieur, au vieux monsieur qui ne peut la rencontrer, aux entreprises où il manque justement un directeur, aux parties de cartes où il manque un joueur, aux villages qui leur plairaient, à l'homme qui serait leur ami. »

Grenoble : 2015, éditions Cent Pages, "Cosaques", p. 30.

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« Les horaires, avec leur côté Bécon - Saint-Lazare et Saint-Lazare - Bécon, sont collés sur les glaces de tous les magasins ou distribués comme prime, ainsi que des sachets parfumés. Dans la hâte de trouver son train, on ne sait jamais, avant quelques secondes de réflexion, s'il faut les lire au recto ou au verso. Ils sont si pleins d'heures qu'ils semblent inexacts comme si, vers la fin de la journée, les trains ne marcheraient plus que mêlés les uns aux autres ainqi que les tramways après l'encombrement. Ils rappellent pourtant, aux instants de bonne humeur, d'autres horaires stables, ceux des funiculaires, ceux des bateaux sur les lacs, ceux de la même excursion qui a lieu plusieurs fois par jour.
Chaque Béconnais possède un de ces horaires peu digne d'être mêlé aux papiers d'identité, dont il connaît par cœur le premier et le dernier train. »

Grenoble : 2015, éditions Cent Pages, "Cosaques", p. 32.

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« Un jour peut-être, Bécon-les-Bruyères, qui comme une île ne peut grandir, comme une île disparaîtra. La gare s'appellera Courbevoie-Asnières. Elle aura changé de nom aussi facilement que les avenues après les guerres ou les secteurs téléphoniques. Il aura suffi de prévenir les habitants un an d'avance. Il ne s'en trouvera pas un pour protester. Longtemps après, de vieux Béconnais, comme ces paysans qui, en été, vous donnent encore l'ancienne heure, croiront encore habiter Bécon-les-Bruyères. Puis ils mourront. Il ne restera alors plus de traces d'une ville qui, de son vivant, ne figura même pas sur le plus gros des dictionnaires. Les anciens papiers à en-tête auront été épuisés. Les nouveaux porteront fièrement Courbevoie-Asnières. Bécon aura rejoint les bruyères déjà mortes.
Aussi, en m'éloignant aujourd'hui de Bécon-les-Bruyères pour toujours, ne puis-je m'empêcher de songer que c'est une ville aussi fragile qu'un être vivant que je quitte. Elle mourra peut-être dans quelques mois, un jour que je ne lirai pas le journal. Personne ne me l'annoncera. Et je croirai longtemps qu'elle vit encore, comme quand je pense à tous ceux que j'ai connus, jusqu'au jour où j'apprendrai qu'elle n'est plus depuis des années. »

Grenoble : 2015, éditions Cent Pages, "Cosaques", p. 65.

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