N° 425 · Carnet IX
La Ratte
, ,Première publication : 1986
Lu du 10/11/2018 au 07/12/2018, à Port-Marly, Rennes
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J'ai toujours eu ce cliquetis dans l'oreille. Depuis l'enfance jusqu'au présent pull-over, des femmes m'ont tenu chaudement dans leurs affectueux ouvrages de tricot. À cette époque, il y avait sur le métier quelque chose à motif simple ou mixte à mon intention.
Si tu veux m'en croire, mon rat de Noël, non, mais toi, Ratte : jamais je ne me moquerai des femmes qui, sur le pourtour de la sphère terrestre, tricotent par besoin ou par goût, voire par fureur ou tristesse. Je les entends cliqueter de leurs aiguilles contre le temps qui court, le néant menaçant, contre le début de la fin, contre toute fatalité, par défi ou par amère conception de leur impuissance. Malheur si un silence brusque effaçait ce bruit ! C'est à distance seulement, bête d'homme que je suis, que je les admire de rester penchées sur leur tricot.
Maintenant, Ratte, depuis lors forêts et rivières, plaines et monts, manifestes et prières, colicots et imprimés même, inculquent à nos têtes vidées par le spéculation que le fil pourrait nous manquer, nous échapper, maintenant, depuis que la fin n'est qu'ajournée de jour en jour, les femmes qui tricotent sont l'ultime rempart, tandis que les hommes ne font que tout embrouiller de leurs bavardages et n'arrivent à rien qui puisse réchauffer l'humanité transie – ne serait-ce que des mitaines. »
Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 36.
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Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 45.
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Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 227.
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Toutefois nous flairions ac inquiétude le tort que l'homme faisait aux mers et aux cours d'eau, tout ce qu'il était prêt à mélanger à l'air, son inertie plaintive à laisser mourir ses forêts. Étant des rats pour qui vivre et survivre s'équivalent, nous ne pouvions que supposer que les humains n'avaient plus goût à la vie. Ils en avaient assez. Ils avaient leur compte. Ils se laissaient aller et ne faisaient plus que semblant : des singes. L'avenir, cette enfilade de pièces si fantastiquement meublées, était matière à plaisanterie ; en revanche, le néant était pour eux une chose qui valait la peine qu'on s'hypnotisât dessus... Toute action – et ils restaient actifs à leur habitude – prenait une odeur d'insanité [...]. »
Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 244.
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Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 245.
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Des ricanements me répondaient. Pas besoin de le prêcher à des rats. De mémoire de rats, c'était l'usage parmi les rats. Seul le genre humain avait dû faire de l'amour du prochain un commandement et s'était trouvé incapable de l'observer. À la place on avait inventé le massacre et la torture, on les avait développés sous des formes constamment améliorées. »
Traduction de Jean Amsler, Paris : 1987, Le Seuil, "Points", N°R355, p. 271.
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