Pour l'instant, c'est provisoire.

Ailleurs

La Vie égale

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : égalité liberté oisiveté temps vie

« – Par conséquent, dis-je, il passe sa vie au jour le jour, à ainsi satisfaire le premier désir venu : tantôt il s’enivre en se faisant jouer de la flûte, puis à l’inverse il ne boit que de l’eau et se laisse maigrir, tantôt encore il s’exerce nu, quelquefois il est oisif et insoucieux de tout, et tantôt il a l’air de se livrer à la philosophie. Et souvent il se mêle des affaires de la cité, et sur une impulsion, il dit ou fait ce qui lui vient à l’idée. Et si jamais il envie les spécialistes de la guerre, il se porte de ce côté là ; ou les spécialistes de l’argent, de cet autre côté encore. Il n’y a ni ligne directrice ni contrainte qui s’imposent à sa vie. Il nomme ce genre de vie délicieux, évidemment, libre, et heureux, et c’est celui qu’il adopte en tout temps.

– Tu as parfaitement bien décrit, dit-il, le genre de vie d’un homme dont la loi est l’égalité. »

Platon, La République

François Delastre

October 2017

L'inutilité de la pensée

Dimension(s): 01 · Cheminement 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : but inutilité matérialisation pensée processus réification

« La réification qui a lieu dans l’écriture, la peinture, le modelage ou la composition est évidemment lié à la pensée qui l’a précédée, mais ce qui fait de la pensée une réalité, ce qui fabrique des objets de pensée, c’est le même ouvrage qui, grâce à l’instrument primordial des mains humaines, construit les autres objets durables de l’artifice humain… C’est toujours dans la « lettre morte » que « l’esprit vivant » doit survivre dans une mort dont on ne peut le sauver que si la lettre rentre en contact avec une vie qui veut la ressusciter… La pensée n’a ni fin ni but hors de soi ; elle ne produit même pas de résultats ; […] la pensée est « inutile » – aussi inutile en effet que les œuvres d’art qu’elle inspire. Et ces produits inutiles, la pensée ne peut même pas les revendiquer, car, de même que les grands systèmes philosophiques, ils peuvent à peine passer pour les résultats de la pensée pure à proprement parler, puisque c’est précisément le processus de la pensée que l’artiste ou le philosophe écrivain doivent interrompre et transformer pour la réification matérialisante de leur œuvre. »

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne

François Delastre

October 2017

La Vie égale

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : but cheminement désir ouapiti quête

« – Mmmm… joli coup ! apprécia le sénateur.

La bille venait de s’envoler très haut et le sillage de fumée rousse qu’elle venait de tracer persistait dans le ciel. Wolf laissa retomber sa canne et ils reprirent leur marche.

– Oui, dit Wolf indifférent, je suis en progrès. Si je pouvais m’entraîner…

– Personne ne vous en empêche, dit le sénateur Dupont.

– De toute façon, répondit Wolf, il y aura toujours des gens qui joueront mieux que moi. Alors ? À quoi bon ?

– Ça ne fait rien, dit le sénateur. C’est un jeu.

– Justement, dit Wolf, puisque c’est un jeu, il faut être le premier. Sans ça, c’est idiot et c’est tout. Oh ! et puis ça fait quinze ans que je joue au plouk… tu penses comme ça m’excite encore…

La petite voiture brinquebalait derrière le sénateur et profita d’une légère déclivité pour venir lui cogner le derrière avec sournoiserie. Le sénateur se lamenta.

– Quel supplice ! gémit-il. J’aurai le cul pelé avant une heure !…

– Ne sois pas douillet comme ça, dit Wolf.

– Enfin, dit le sénateur, à mon âge ! C’est humiliant !

– Ça te fait du bien de te promener un peu, dit Wolf, je t’assure.

– Quel bien peut me faire une chose qui m’assomme ? dit le sénateur.

– Mais tout est assommant, dit Wolf, et on fait des choses quand même…

– Oh ! vous, dit le sénateur, sous prétexte que rien ne vous amuse, vous croyez que tout le monde est dégoûté de tout.

– Bon, dit Wolf, en ce moment, de quoi as-tu envie ?

– Et si on vous posait la même question, grommela le sénateur, vous seriez bien en peine de répondre, hein ?

Effectivement, Wolf ne répondit pas tout de suite. Il balançait sa canne et s’amusait à décapiter des tiges de pétoufle grimaçant qui croissaient çà et là sur le terrain à ploukir. De chaque tige coupée sortait un jet gluant de sève noire qui se gonflait en un petit ballon noir à monogramme d’or.

– Je ne serais pas en peine, dit Wolf. Je te dirais simplement que plus rien ne me fait envie.

– C’est nouveau, ricana le sénateur, et la machine ?

– Ça serait plutôt une solution désespérée, railla Wolf à son tour.

– Allons, dit le sénateur, vous n’avez pas tout essayé.

– C’est vrai, dit Wolf. Pas encore. Mais ça va venir. Il faut d’abord une vue claire des choses. Tout ça ne me dit pas de quoi tu as envie.

Le sénateur devenait grave.

– Vous ne vous moquerez pas de moi ? demanda-t-il.

Les coins de son museau étaient humides et frémissants.

– Absolument pas, dit Wolf. Si je savais que quelqu’un a vraiment envie de quelque chose, ça me remonterait le moral.

– Depuis que j’ai trois mois, dit le sénateur d’un ton confidentiel, je voudrais un ouapiti.

– Un ouapiti, répéta Wolf absent.

Et il reprit aussitôt :

– Un ouapiti !…

Le sénateur reprit courage. Sa voix s’affermit.

– Ça au moins, expliqua-t-il, c’est une envie précise et bien définie. Un ouapiti, c’est vert, ça a des piquants ronds et ça fait plop quand on le jette à l’eau. Enfin… pour moi… un ouapiti est comme ça.

– Et c’est ça que tu veux ?

– Oui, dit le sénateur fièrement. Et j’ai un but dans ma vie et je suis heureux comme ça. Je veux dire, je serais heureux sans cette saloperie de petite voiture.

Wolf fit quelques pas en reniflant et cessa de décapiter les pétoufles. Il s’arrêta.

– Bon, dit-il. Je vais t’enlever la voiture et on va aller chercher un ouapiti. Tu verras si ça change quoi que ce soit d’avoir ce qu’on veut.

Le sénateur s’arrêta et hennit de saisissement.

– Quoi ? dit-il. Vous feriez ça ?

– Je te le dis…

– Sans blague, haleta le sénateur. Faut pas donner un espoir comme ça à un vieux chien fatigué…

– Tu as la veine d’avoir envie de quelque chose, dit Wolf, je vais t’aider, c’est normal…

– Nom d’une pipe ! dit le sénateur, c’est ce qu’on appelle de la métaphysique amusante, dans le catéchisme.

Pour la seconde fois, Wolf se baissa et libéra le sénateur. Gardant une canne à ploukir, il laissa les autres dans la voiture. Personne n’y toucherait car le code moral du plouk est particulièrement sévère.

– En route, dit-il. Pour le ouapiti, il faut marcher courbés et vers l’est.

– Même en vous courbant, dit Dupont, vous serez encore plus grand que moi. Donc, je reste debout.

Ils partirent, humant le sol avec précaution. La brise agitait le ciel dont le ventre argenté et mouvant s’abaissait parfois à caresser les grandes ombelles bleues des cardavoines de mai, encore en fleur et dont l’odeur poivrée tremblait dans l’air tiède

[…]

Le sénateur Dupont allongeait le pas car Wolf marchait vite ; et si le sénateur avait quatre pattes, celles de Wolf étaient en nombre deux fois inférieur, mais chacune trois fois plus longue ; d’où la nécessité où se trouvait le sénateur de tirer la langue de temps en temps et de faire han ! han ! pour manifester sa fatigue.

Maintenant le sol était rocailleux et couvert d’une mousse dure pleine de petites fleurs comme des boules de cire parfumée. Des insectes volaient entre les tiges, éventrant les fleurs à coups de mandibules pour boire la liqueur de l’intérieur. Le sénateur n’arrêtait pas d’avaler de croquantes bestioles et sursautait chaque fois. Wolf allait à grandes enjambées, à la main sa canne à ploukir, et ses yeux scrutaient les alentours avec le soin qu’ils eussent apporté à déchiffrer Le Kalevala dans le texte. Il entremêlait ce qu’il voyait avec de choses déjà dans sa tête, cherchant à quel endroit la jolie figure de Lil se posait le mieux. Une ou deux fois même, il tenta d’incorporer au paysage l’effigie de Folavril, mais une honte à demi formulée lui fit éliminer ce montage. Faisant un effort, il réussit à se concentrer sur l’idée du ouapiti.

À des indices variés, tels que crottes en spirales et rubans de machine à écrire mal digérés, il reconnaissait d’ailleurs la proximité de l’animal et ordonna au sénateur, vivement ému, de garder son calme.

– On va en trouver un ? souffla Dupont.

– Naturellement, répondit Wolf tout bas. Et maintenant, pas de blagues. À plat ventre tous les deux.

Il se colla au sol et avança au ralenti. Le sénateur grommelait « ça me racle entre les cuisses » mais Wolf lui imposa le silence. À trois mètres, il aperçut brusquement ce qu’il cherchait : une grosse pierre aux trois quarts enterrée, percée en son sommet d’un petit trou carré parfait, qui s’ouvrait dans sa direction. Il l’atteignit, saisit sa canne et cogna trois coups sur la pierre.

– Au quatrième top, il sera exactement l’heure !… dit-il en imitant la voix du Monsieur.

Il donna le quatrième top. À la même seconde, le ouapiti affolé sortit du trou avec de grandes contorsions.

– Grâce, Monseigneur ! gémit-il. Je rendrai les diamants. Parole de gentilhomme !… Je n’ai rien fait !… Je vous l’assure…

L’œil luisant de convoitise du sénateur Dupont le regardait en se léchant les babines si l’on ose dire. Wolf s’assit et dévisagea le ouapiti.

– Je t’ai eu, dit-il. Il n’est que cinq heures et demie. Tu vas venir avec nous.

– Zut, zut et zut ! protesta le ouapiti. Ça ne va pas du tout. C’est pas du jeu.

– S’il avait été vingt heures douze, dit Wolf, et si nous nous étions trouvés là, tu étais fait de toute façon.

– Vous profitez de ce qu’un ancêtre a trahi, dit le ouapiti. C’est lâche. Vous savez bien que nous sommes d’une terrible susceptibilité horaire.

– Ce n’est pas une raison dont tu peux exciper, dit Wolf pour l’impressionner par un langage adéquat.

– Bon, je viens, dit le ouapiti. Mais gardez à distance cette brute à l’œil torve qui semble me vouloir meurtrir dans l’instant.

Les moustaches hirsutes du sénateur se mirent à pendre.

– Mais…, bredouilla-t-il. Je suis venu avec les meilleures intentions du monde…

– Que m’importe le monde ! dit le ouapiti.

– Tu feras des tartines ? demanda Wolf.

– Je suis votre prisonnier, Monsieur, dit le ouapiti et je m’en remets à votre bon vouloir.

– Parfait, dit Wolf. Serre la main du sénateur et arrive.

Très ému, le sénateur Dupont tendit en reniflant sa grosse patte au ouapiti.

– Puis-je monter sur le dos de Monsieur ? proposa le ouapiti en désignant le sénateur.

Ce dernier acquiesça et le ouapiti, très content, s’installa sur son dos. Wolf se remit en marche en sens inverse. Bouleversé, ravi, le sénateur le suivait. Enfin, son idéal se matérialisait… il s’était réalisé… Une sérénité onctueuse lui envahit l’âme et il ne sentait plus ses pieds.

Wolf marchait tristement.

[…]

Wolf se retrouvait à son bureau, prêtant l’oreille. Au-dessus de lui, il entendait les pas impatients de Lazuli dans sa chambre. Lil devait s’occuper de la maison, pas loin de là. Wolf se sentait cerné, il avait épuisé des tas de distractions en si peu de temps qu’il ne lui restait plus d’idées, rien qu’une grande lassitude, rien que la cage d’acier ; et l’issue de la tentative contre les souvenirs paraissait douteuse maintenant.

Il se leva, mal dans sa peau, chercha Lil de pièce en pièce. Elle était agenouillée devant la caisse du sénateur dans la cuisine. Elle le regardait et ses yeux nageaient dans les larmes.

– Qu’y a-t-il ? demanda Wolf.

Entre les pattes du sénateur, le ouapiti dormait ; le sénateur bavait, l’œil tertreux et chantait des bribes de chansons inarticulées.

– C’est le sénateur, dit Lil, et sa voix se cassa.

– Qu’est-ce qu’il a ? dit Wolf.

– Je ne sais pas, dit Lil. Il ne sait plus ce qu’il dit et il ne répond pas quand on lui parle.

– Mais il a l’air content, dit Wolf. Il chante.

– On dirait qu’il est gâteux, murmura Lil.

Le sénateur remua la queue et un semblant de compréhension éclaira ses yeux l’espace d’un éclair.

– Juste ! remarqua-t-il. Je suis gâteux et j’entends le rester.

Puis il se remit à sa musique atroce.

– Tout va bien, dit Wolf. Tu sais, il est vieux.

– Il avait l’air si content d’avoir un ouapiti, répondit Lil, pleine de pleurs.

– Être satisfait ou gâteux, dit Wolf, c’est bien pareil. Quand on n’a plus envie de rien, autant être gâteux.

– Oh ! dit Lil. Mon pauvre sénateur.

– Note bien, dit Wolf, qu’il y a deux façons de ne plus avoir envie de rien : avoir ce qu’on voulait ou être découragé parce qu’on ne l’a pas.

– Mais il ne va pas rester comme cela ! dit Lil.

– Il t’a dit que si, dit Wolf. C’est la béatitude. Lui, c’est parce qu’il a ce qu’il voulait. Je crois que dans les deux cas, ça finit par l’inconscience.

– Ça me tue, dit Lil.

Le sénateur fit un ultime effort.

– Écoutez, dit-il, je vais avoir une dernière lueur. Je suis content. Vous comprenez ? Moi, je n’ai plus besoin de comprendre. C’est du contentement intégral, c’est donc végétatif, et ce seront mes paroles finales. Je reprends contact… Je reviens aux sources… du moment que je suis vivant et que je ne désire plus rien, je n’ai plus besoin d’être intelligent. J’ajoute que j’aurais dû commencer par là.

Il se lécha le nez avec gourmandise et produisit un son incongru.

– Je fonctionne, dit-il. Le reste c’est de la rigolade. Et maintenant, je rentre dans le rang. Je vous aime bien, je continuerai peut-être à vous comprendre mais je ne dirai plus rien. J’ai mon ouapiti. Trouvez le vôtre. »

Boris Vian, L’herbe rouge

Guy Desaubliaux

July 2017

Middle Fork, Colorado

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : commencement début milieu quête

« Un mois après le vol des trophées, les Logan Brothers en étaient arrivés à la conclusion qu’on les avait déménagés quelque part mais que où ? ils n’en avaient pas la moindre idée et que c’était donc à eux qu’il revenait de se bouger s’ils voulaient les retrouver.

L’Amérique est un pays assez vaste, les trophées leur avaient paru fort petits : par comparaison.

Ils avaient aussi compris qu’il ne leur suffirait pas de traînasser en ville à attendre la suite d’évènements qui risquaient très bien de ne pas se produire ; pour commencer. Et puis, que ce n’était pas comme ça qu’ils pourraient remettre la main dessus.

Et que, de toute façon, ces trophées s’étaient volatilisés pour toujours.

Les Logan Brothers avaient commencé à dresser des plans pour quitter la ville. Parce que les Logan Brothers n’avaient aucune idée de l’endroit où ils allaient se rendre mais qu’il leur fallait aller quelque part s’ils voulaient avoir une chance de les trouver.

Et la veille du jour où ils avaient décidé de partir sans pour autant savoir où ils allaient se rendre, même que n’importe où n’était pas pire qu’autre chose pour commencer, quelqu’un les avait appelés au téléphone pour leur dire qu’à son avis, les trophées ne pouvaient pas être ailleurs qu’à Middle Fork, Colorado.

Le Logan Brother qui avait décroché lui avait aussitôt dit merci.

Sur quoi, ils avaient aussitôt déplié une carte pour voir où c’était, Middle Fork, Colorado. C’était à plus de quinze cents kilomètres de là : dans les Rocheuses. Ils avaient passé un bon bout de temps à contempler la carte en silence.

Jusqu’à ce que l’un d’eux déclare :

– C’est toujours un commencement. »

Richard Brautigan, Willard et ses trophées de bowling

Baptiste Fertillet

June 2017

Le courage d'une idée

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : connaissance courage idée savoir trilobite

« Captain Penderton was also something of a savant. During the years when he was a young Lieutenant and a bachelor he had had much opportunity to read, as his fellow officers tended to avoid his room in the bachelors’ quarters or else to visit him in pairs or groups. His head was filled with statistics and information of scholarly exactitude. For instance, he could describe in detail the curious digestive apparatus of a lobster or the life history of a trilobite. He spoke and wrote three languages gracefully. He knew something of astronomy and had read much poetry. But in spite of his knowledge of many separate facts, the Captain never in his life had had an idea in his head. For the formation of an idea involves the fusion of two or more known facts. And this the Captain had not the courage to do. »

Carson McCullers, Reflections in a Golden Eye

December 2016

Le flacon bleu

Dimension(s): 01 · Cheminement 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : fainéant ne-rien-faire oisiveté quête recherche

« Beck était tombé par hasard sur la vieille jeep un mois plus tôt, avant que Craig se joigne à lui. Elle faisait partie des épaves de la Première Invasion industrielle de Mars qui s’était terminée lorsque la course aux étoiles s’était poursuivie. Il avait réparé le véhicule qui le menait de ville morte en ville morte, traversant les terres des oisifs et des hommes à tout faire, des rêveurs et des fainéants, d’hommes pris dans les remous de l’espace, des hommes comme lui-même et Craig qui n’avaient jamais voulu faire grand-chose et avaient trouvé Mars pour ce faire.

– Il y a cinq mille, dix mille ans, les Martiens ont fait le Flacon Bleu, dit Beck. Soufflé dans du verre martien — perdu et retrouvé, perdu et retrouvé, encore et encore.

Il regarda fixement le brouillard de chaleur qui faisait vaciller la ville morte. Toute ma vie, pensa Beck, je n’ai rien fait, et rien à l’intérieur de ce rien. D’autres, des hommes meilleurs, ont fait de grandes choses, sont allés sur Mercure, ou Vénus, ou au-delà du Système. Sauf moi. Pas moi. Mais le Flacon Bleu peut changer tout ça. »

« Beck termina sa pièce et s’apprêta à occuper la suivante. Il avait presque peur de continuer. Peur que cette fois il le trouve, que la quête finisse, et que sa vie n’ait plus de sens. C’est seulement après avoir entendu parler du Flacon Bleu par des voyageurs venant de Vénus, dix ans auparavant, que la vie avait commencé d’avoir un but. La fièvre s’était emparé de lui et le consumait depuis. S’il s’y prenait bien, la perspective de trouver le flacon pouvait emplir sa vie entière. Encore trente ans, s’il faisait attention à ne pas trop se hâter, de recherche, sans jamais s’avouer ouvertement que ce n’était pas du tout le flacon qui comptait, mais la quête, la course et la chasse, la poussière et les cités, et l’excitation. »

Ray Bradbury, « le flacon bleu », in Bien après minuit

November 2016

Amas, fixation & structions

Dimension(s): 01 · Cheminement 02 · Agencement

Mots-clefs : agencement amas cheminement écriture fixation pensée struction texte tissage

« Mêlant écrits publics et écrits privés, l’acte de coucher sur le papier lui [Thomas Hirschhorn] permet de fixer ses propres questionnements sur l’art, ainsi que de répondre aux interrogations des acteurs de l’art, des institutions, des circonstances. La fixation ne pétrifie pas pour autant, elle marque au contraire les étapes d’un cheminement de pensée, le rythme de ses modifications. Elle est considérée comme dynamique. C’est, dit Thomas Hirschhorn, « à partir du moment où on est fixé qu’on peut créer une dynamique », et cela concerne autant la forme artistique que la forme textuelle. »

« Jean-Luc Nancy proposait dernièrement de contrevenir au rythme incessant des constructions/destructions/déconstructions et de considérer, en faveur d’une communue pensée, la ou les structions, c’est-à-dire ce qui est in-construit, sans architecture, en déplacement, disloqué. On supprime les préfixes. Ni « avec », ni « sans ». Renvoyant à son étymologie latine, la struction est de l’ordre de l’amas, du tas, de l’entassement, et suppose l’assemblage. La struction permet d’ouvrir un espace dans lequel la pensée peut tisser des trajets en dissolvant les antinomies constitutives. Un espace de tissage, mêlant les lignes de force et les lignes de fuite, qui renvoie au texte, dans son originarité de tissu, mettant en suspens les conventions et les choses sues, pour les réinterroger à la faveur de leur mise en relation dans l’espace réel. »

Introduction par Sally Bonn à Une volonté de faire de Thomas Hirschhorn

June 2016

L'ordre compliqué

Dimension(s): 01 · Cheminement 02 · Agencement

Mots-clefs : choses cristallisations ordre-compliqué processus

Schéma issu de l'Ordre Compliqué « Nous observons, en général, des choses, mais ces choses ne sont rien d’autre que les stations d’un processus quelconque. Les choses sont des abstractions créées par notre mémoire, abstractions retenues de la séquence du processus. »

Yona Friedman, L’ordre Compliqué

Alix Desaubliaux

April 2016

Le devin de la couleur

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : archivage classification couleurs synesthésie

Pages du livre d'A. Boogert « In 1692 an artist known only as “A. Boogert” sat down to write a book in Dutch about mixing watercolors. Not only would he begin the book with a bit about the use of color in painting, but would go on to explain how to create certain hues and change the tone by adding one, two, or three parts of water. The premise sounds simple enough, but the final product is almost unfathomable in its detail and scope. »

Lien vers l’intégralité de l’article par Christopher Jobson sur This is Colossal.

Pages du livre d'A. Boogert

Christopher Jobson, 5 mai 2014, « 271 Years Before Pantone, an Artist Mixed and Described Every Color Imaginable in an 800-Page Book », Colossal, This is Colossal, consulté le 01 février 2016.

Alix Desaubliaux

February 2016

Le Soulier de satin

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : espace-entre

« Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. »

Paul Claudel, Le Soulier de satin, acte 1, scène 1

January 2016

Nanopoussières

Dimension(s): 01 · Cheminement 02 · Agencement 03 · Espace & temps

Mots-clefs : dimensions Duchamp inframince poussières

Photo de Man Ray

Man Ray, Dust Breeding

« Évidence : les poussières tombent. Comme tout le reste. A la différence de tout le reste, les poussières tombent lentement. Très lentement on le sait et elles tombent d’autant plus lentement qu’elles sont plus petites. De taille micrométrique, soumises au hasard des collisions permanentes avec les molécules de l’air, elles errent longtemps avant que le poids par son action constante ne finisse par les projeter sur une table, un livre, le sol. Une projection de l’espace à trois dimensions sur une surface à deux dimensions après une marche erratique dans l’air. Immédiatement de la physique statistique avec notamment un modèle célèbre connu sous le nom de marche de l’ivrogne (ou marche aléatoire…). »

Lire l’article : Les poussières : des nanos à l’inframince de Marcel Duchamp

Joel Chevrier, 13 juin 2014, « Les poussières : des nanos à l’inframince de Marcel Duchamp », Echosciences Grenoble, consulté le 01 novembre 2015.

Nicole Caligaris

November 2015

Moyra Davey

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : agencement art-contemporain correspondance planche post-it table-de-montage

Vue de l'exposition de Moyra Davey

Dossier de presse:

greengrassi is pleased to announce Moyra Davey’s second solo exhibition at the gallery. The artist will present three ‘mailer’ pieces, one comprising 90 elements. For these methodical projects, Davey folds c-prints, addresses them and sends them by post to friends, family and collaborators around the world. The show will also include her new 28-minute film Notes on Blue (2015) commissioned by The Walker Art Center in Minneapolis. Braiding together disparate observations and personal accounts, Notes on Blue is an episodic meditation on blindness, color, and the life and work of British filmmaker, gardener and political activist Derek Jarman (1942–1994).

Moyra Davey was born in Canada in 1958 and currently lives and works in New York. Recent solo shows include MUMOK, Vienna; ICA, Philadelphia; Camden Art Centre (2014); Tate, Liverpool; Presentation House Gallery, Vancouver (2013) and Kunsthalle, Basel (2010). Her works were recently featured in ‘Photo Poetics’ at Kunsthalle, Berlin; ‘Take One: Contemporary Photographs’ at Philadelphia Museum of Art, Philadelphia (2015); ‘CODEX’ at CCA Wattis Institute for Contemporary Art, San Francisco (2014); ‘Minimal Resistance’ at Museo Reina Sofia, Madrid; ‘L’image papillon’ at MUDAM, Luxembourg (2013); XXX Bienal de Sao Paulo, Sao Paulo; Whitney Biennial, New York (2012) and ‘New Photography 2011’ at MoMA, New York (2011), among others. She was part of the collective that started the New York artist-run gallery Orchard (2005-2008). Davey is a 2004–2005 recipient of an Anonymous Was a Woman Award.

Moyra Davey, « You’re a nice guy to let me hold you like this », exposition à greengrassi

October 2015

La Finlande prête à expérimenter la fin du travail ?

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : finlande refus-du-travail travail

Sculpture à la gloire du travail à Helsinki

« Une première en Europe, la Finlande veut expérimenter une forme de revenu universel. Le nouveau gouvernement de centre droit évoque une allocation de base pour tous les citoyens. Si son montant devait atteindre les 1000 euros mensuels, le travail deviendrait alors «un choix de vie». La Finlande en a peut-être les moyens mais certains hésitent devant cette révolution culturelle. »

Lien vers l’intégralité de l’article

Michel Lachkar, 20 juillet 2015, « La Finlande prête à expérimenter la fin du travail ? », Geopolis, France Télévision, consulté le 25 juillet 2015.

Elsa Escaffre

July 2015

Barthes aussi aimait les index

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : index mots-clefs

index de Barthes index de Barthes

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, index en couleurs des figures.

June 2015

Soulages

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : chercher faire trouver

« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. »

Pierre Soulages, in Remember Me, 2013, Dontnod, Capcom.

June 2015

Le milieu du voyage 01

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : chemin milieu récit voyage

« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger. »

Robert Louis Stevenson, Voyage dans les Cévennes avec un âne, in Alberto Manguel, Le Voyageur et la tour

May 2015

Le milieu du voyage 02

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : chemin milieu récit voyage

« (Dante) « Nel mezzo del cammin di nostra vita. » : nous comprenons que ces premiers mots sont le point de départ du récit, mais cela n’est vrai que dans un sens littéraire. Le voyage proprement dit est commencé depuis longtemps. Ce début qu’on nous donne à lire se trouve déjà « au milieu du chemin de notre vie » ; c’est seulement à ce point médian que nous sommes invités à nous joindre au voyageur, après qu’il a déjà couvert une longue distance, bien avant l’ouverture du livre, à travers des paysages et des épisodes de la vie passée du poète dont Dante a préféré ne pas faire la chronique dans la Commédia. Nous entreprenons le voyage au point que la rhétorique médiévale définissait comme in media res, en plein milieu de la chose. »

« Aujourd’hui, le voyage n’a plus de destination. Il n’a plus pour but le mouvement mais l’immobilité, le séjour dans l’ici et maintenant, ou, ce qui revient au même, le passage quasi instantané d’un lieu à un autre, de telle sorte qu’il n’y a plus de traversée d’un point à un autre, ni dans l’espace ni dans le temps, ce qui ressemble beaucoup à nos habitudes de lecture. Malheureusement, de telles méthodes n’affectent pas seulement le voyage et la lecture. Elles affectent aussi nos pensées, nos fonctions réflexives, notre musculature intellectuelle. Notre faculté de penser requiert non seulement que nous soyons conscient de nous-mêmes, mais aussi que nous le soyons de notre passage dans les pages d’un livre. C’est une capacité que nous avons développées dès l’époque des tablettes de Gilgamesh, et abandonnée à l’âge de l’écran. Il nous faut désormais réapprendre à lire lentement, en profondeur, complètement, que ce soit sur papier ou sur écran : à voyager afin de revenir avec ce que nous avons lu. C’est alors seulement que nous pouvons, au sens le plus essentiel, nous qualifier de lecteur. »

Alberto Manguel, Le Voyageur et la tour

May 2015

Le code du monde

Dimension(s): 05 · La cinquième dimension

Mots-clefs : code-du-monde déchiffrer

« À notre connaissance, notre espèce est la seule pour qui le monde semble composé de récits. Constitués biologiquement de telle sorte que nous avons conscience de notre existence, nous traitons les identités que nous percevons de nous-mêmes et du monde qui nous entoure comme si elles exigeaient d’être littéralement déchiffrées, comme si tout ce qui existait dans l’univers était représenté dans un code que nous sommes censés lire et comprendre. Les sociétés humaines sont fondées sur l’hypothèse selon laquelle nous sommes, jusqu’à un certain point, capables de comprendre le monde dans lequel nous vivons. »

Alberto Manguel, Le Voyageur et la tour

April 2015

Cette énergie explosive

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : refus-du-travail travail

« Il est faux de dire, avec certains post-hégéliens célèbres que l’existence concrète de l’homme c’est le travail. Le temps et la vie de l’homme ne sont pas par nature travail, ils sont plaisir, discontinuité, fête, repos, besoins, instants, hasards, violence, etc. Or, c’est cette énergie explosive qu’il faut transformer en une force de travail continue et continuellement offerte sur le marché. »

Michel Foucault, in Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

April 2015

Le processus & Duchamp

Dimension(s): 01 · Cheminement 02 · Agencement 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : anartiste devenir fainéant frontière inframince

Moulin à Café, Marcel Duchamp Marcel Duchamp, Moulin à café

« J’ai peur du mot création. Au sens social, ordinaire, du mot, la création, c’est très gentil, mais au fond, je ne crois pas à la fonction créatrice de l’artiste. »

Marcel Duchamp

« Si Duchamp refuse l’injonction à être artiste – il se définit comme un « défroqué de l’art » – , il n’abandonne pas pour autant les pratiques, les protocoles, les procédures artistiques. L’ »anartiste » demande un redéploiement des fonctions et des dispositifs artistiques. Il s’agit d’un positionnement subtil, incarné par un refus qui ne s’installe ni à l’extérieur, ni à l’intérieur de l’institution « art », mais à sa limite, à ses frontières, et qui, à partir de celles-ci, essaie de déplacer l’opposition dialectique art / anti-art. »

« Au possible découvert grâce au Moulin à café, Duchamp donne aussi un autre nom : « l’inframince ». L’inframince est la dimension du moléculaire, des petites perceptions, des différences infinitésimales, de la co-intelligence des contraires, au sein de laquelle les lois de la dimension macro et notamment celles de la causalité, de la logique de la non-contradiction, du langage et de ses généralisations, du temps chronologique, ne valent pas. C’est dans l’inframince que le devenir a lieu, c’est au niveau micro que se font les changements. « Le possible implique le devenir – le passage de l’un à l’autre a lieu dans l’inframince. » Et pour avoir accès à cette dimension, la condition est toujours la même – inventer une autre manière de vivre : « l’habitant de l’inframince fainéant. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

April 2015

La paresse & Duchamp

Dimension(s): 01 · Cheminement 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : action refus-du-travail capitalisme expérience paresse processus

« On ne peut plus se permettre d’être un jeune homme qui ne fait rien. Qui est-ce qui ne travaille pas ? On ne peut pas vivre sans travail, c’est quelque chose d’affreux. Je me rappelle un livre qui s’appelait le Droit à la Paresse, ce droit n’existe plus. »

« Il est honteux que nous soyons encore obligés de travailler pour vivre, (…) être obligés de travailler pour exister, ça, c’est une infamie. »

Marcel Duchamp

« (…) la paresse n’est pas simplement un « non-agir » ou un « agir minimum ». Elle est une prise de position par rapport aux conditions d’existence imposées par le capitalisme. Elle exprime d’abord un refus subjectif qui vise le travail (salarié) et tout comportement conforme à ce que la société capitaliste attend de l’individu. Duchamp revendique ce refus de « toutes ces petites règles qui décident que vous n’aurez pas à manger si vous ne montrez pas des signes d’une activité ou d’une production, sous une forme ou une autre. » »

« L’action capitaliste, finalisée par la production de toujours plus d’argent, n’a pas uniquement des effets économiques. Elle nous équipe d’une perception et d’une sensibilité, puisque percevoir et sentir sont fonctions de l’action. L’action paresseuse se situe aux antipodes de cette action pour laquelle la fin, à savoir l’argent, est tout et le processus n’est rien. Ce dernier n’existe pas, littéralement, s’il ne produit pas de l’argent. La paresse, au contraire est toute concentrée sur le processus, sur le devenir de la subjectivité et de sa puissance d’agir. « Mode : l’état actif et non le résultat – l’état actif ne donnant aucun intérêt au résultat. » « Mode : expérience – le résultat ne devant pas être gardé – ne présentant aucun intérêt. » »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

April 2015

Le refus du travail de Duchamp

Dimension(s): 03 · Espace & temps 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : capitalisme refus-du-travail expropriation-du-temps

« Déjà, au XIXème siècle, refuser le travail, c’est refuser la normalisation du temps de la vie toute entière, envahie depuis la naissance jusqu’à la mort, par la production. L’emploi du temps, qui, justement, constituera la véritable oeuvre d’art de Duchamp, est l’objet principal du contrôle et de la disciplinarisation capitaliste. Il faut que le temps soit porté sur le marché et, échangé contre un salaire, transformé en tempo de travail. Le grand refus de Duchamp concerne cette expropriation du temps. Pas même l’art n’a le droit d’occuper et de commander les différentes temporalités de la vie. »

« Pratiquer le refus du travail dans les conditions d’exploitation contemporaines, signifie inventer de nouvelles modalités de lutte et d’organisation à même non seulement de conserver les droits hérités de luttes historiques contre le travail salarié, mais aussi et surtout, d’imposer de nouveaux droits adaptés aux nouvelles modalités d’exploitation du temps en construisant des formes de solidarités capables d’empêcher l’expropriation des savoirs et des savoir-faire et ainsi éviter que les modalités de production ne soient dictées par les nécessités de valorisation financière à laquelle n’échappent ni l’art ni les industries culturelles. C’est à cette condition seulement que l’on pourra renouer avec la radicalité, l’impertinence, le désir de rupture qui semblent avoir été perdus ici comme ailleurs. »

Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail

April 2015

Œuvre Insignifiante

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : inutilité oeuvre-insignifiante

« L’œuvre insignifiante est manifestement la forme d’art la plus importante et la plus significative aujourd’hui. Il est impossible de décrire avec exactitude le sentiment esthétique généré par une œuvre insignifiante, car il varie en fonction des individus qui réalisent l’œuvre. L’œuvre insignifiante est honnête. Elle peut être appréciée ou détestée selon les intellectuels ‒ bien qu’elle soit à leur portée. Une œuvre insignifiante ne peut pas être vendu dans une galerie d’art ni recevoir le prix d’un musée ‒ quand bien même les vestiges d’œuvres insignifiantes (surtout les peintures) prennent part à de telles supercheries. Comme tout travail ordinaire, l’œuvre dépourvue de sens peut vous faire transpirer si vous la pratiquez assez longtemps. Par œuvre dépourvue de sens, j’entends simplement une œuvre qui ne vous fait pas faire ou accomplir un objet conventionnel. Déplacer des bûches d’un tas à un autre, puis les remettre à leur place et ainsi de suite, en est par exemple une très bonne illustration. Ou bien encore, creuser un trou puis le reboucher. Classer des lettres dans un trieur peut être considéré comme une œuvre dépourvue de sens à condition de ne pas être secrétaire et d’éparpiller régulièrement les dossiers sur le sol afin de n’avoir aucun sentiment d’accomplissement. Creuser un trou dans le jardin n’est pas une œuvre dépourvue de sens. D’un point de vue esthétique, soulever un poids n’est pas une œuvre dépourvue de sens, même su c’est monotone, car dans le même temps, vous vous musclez et vous en avez conscience. Il est important que la tâche déterminée ne soit pas trop agréable, de crainte que le plaisir ne devienne l’objet de l’œuvre. Ainsi le sexe, même s’il est rythmique, ne peut pas être strictement qualifié de dépourvu de sens, bien que je sois convaincu que beaucoup de gens le considèrent comme tel. Une œuvre dépourvue de sens est potentiellement l’art-action-expérience le plus important, le plus abstrait, le plus individuel, le plus stupide, le plus indéterminé, le plus surdéterminé, le plus varié que l’on puisse entreprendre aujourd’hui. Ce concept n’est pas une blague. Essayez de réaliser quelques œuvres dépourvues de sens chez vous. En fait, pour être pleinement comprise, une œuvre dépourvue de sens doit être réalisée seul(e), sinon elle risque de devenir une forme de divertissement pour les autres et les réactions de l’amateur d’art face à une œuvre dépourvue de sens ne peuvent pas être perçues en toute honnêteté. »

Walter De Maria, Œuvre Insignifiante

March 2015

Non à la production finie

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : art finir non-finir

Robert Morris

Robert Morris, in Art Concep­tuel : Une Ento­lo­gie, publié sous la direc­tion de Gau­thier Herr­mann, Fabrice Rey­mond et Fabien Val­los

March 2015

Robert Barry 02

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : conscience inconscience espace-entre

Robert Morris

Robert Barry, in Art Concep­tuel : Une Ento­lo­gie, publié sous la direc­tion de Gau­thier Herr­mann, Fabrice Rey­mond et Fabien Val­los

March 2015

Robert Barry 01

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : conscience inconscience espace-entre

QUELQUE CHOSE QUI NE SERA JAMAIS RIEN EN PARTICULIER

*

QUELQUE CHOSE QUI EST TRÈS PROCHE DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS MAIS QUI NE M’EST PAS ENCORE CONNU

*

QUELQUE CHOSE QUI EST À MA RECHERCHE ET QUI A BESOIN DE MOI POUR SE RÉVÉLER

*

QUELQUE CHOSE DONT J’AI EU UN JOUR CONSCIENCE MAIS QUE J’AI OUBLIÉ DEPUIS

*

QUELQUE CHOSE QUE JE NE CONNAIS PAS QUI A UNE INFLUENCE SUR MOI

*

QUELQUE CHOSE QUI PREND FORME DANS MON ESPRIT ET QUI PARVIENDRA PARFOIS À LA CONSCIENCE

Robert Barry, in Art Concep­tuel : Une Ento­lo­gie, publié sous la direc­tion de Gau­thier Herr­mann, Fabrice Rey­mond et Fabien Val­los

March 2015

La maison idéale ne serait que de l’extérieur ?

Dimension(s): 03 · Espace & temps

Mots-clefs : home lieu-idéal

Shatzy « C’était une sorte d’émerveillement lancinant, douloureux. […] C’est un peu comme quand on regarde les trains électriques, surtout quand il y a la maquette, avec une gare et des tunnels, des vaches dans les prés et des réverbères allumés près des passages à niveau. C’est pareil là aussi. Ou bien dans les dessins animés quand on voit la maison des souris, avec des lits dans des boîtes d’allumettes, et un cadre avec le grand-père souris accroché au mur, une bibliothèque, et une cuiller qui sert de chaise à bascule. Tu sens une sorte de consolation à l’intérieur de toi, comme une révélation, qui t’ouvre le cœur en grand, si on peut dire, mais en même temps tu sens comme une pointe, comme la sensation d’une perte irrémédiable, et définitive. Une catastrophe douce. Je crois que ça vient du fait que tu es toujours dehors, tu les regardes mais toujours de dehors. Tu ne peux pas y monter, dans le petit train, voilà l’histoire, et la maison des souris est quelque chose qui reste là-dedans, à l’intérieur de la télévision, et toi tue s irrémédiablement devant, tu la regardes et tu ne peux rien faire d’autre. Cette Maison Idéale aussi, ce jour-là, tu pouvais y entrer, si tu voulais, tu faisais un peu la queue puis tu entrais et tu visitais l’intérieur. Mais si tu faisais ça, ce n’était plus pareil. Il y avait des tas de choses intéressantes, c’était une curiosité, tu pouvais même toucher les bibelots, mais il n’y avait plus cet émerveillement de l’instant où tu l’avais vue de dehors, cette sensation-là n’existait plus. C’est un drôle de truc. Quand ça t’arrive de voir l’endroit où tu serais sauvé, c’est toujours de dehors que tu le regardes. Jamais tu n’es dedans. C’est ton endroit, mais toi, tu n’y es jamais. »

Alessandro Barricco, City

March 2015

Rémy Zaugg

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : sens

Là

Rémy Zaugg, Un mot un tableau

February 2015

N.

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : (B) ne-rien-faire oisiveté temps

Chloé “N., c’est un endroit à côté de chez moi, c’est un tout petit ‒ ils appellent ça un port mais c’est pas un port, c’est juste un endroit où les canots rencontrent une petite route, c’est même un peu sauvage, et il y a des espèces de chalands, des petites barques comme ça et c’est un chemin… assez long, bref, c’est un point de vue, quand même un peu, je sais pas. Et c’est petit, c’est juste ‒ tu fais juste demi-tour sur le bout du chemin, en voiture, et il y a une sorte de règle tacite comme quoi ‒ bon, on la respecte de moins en moins, malheureusement ! Moi non plus je la respecte pas, mais ‒ si y’a quelqu’un, ben on t’a pris ta place, quoi, tu vois, c’est pas assez grand, et si ya des gens qui discutent à côté de toi, ça casse le truc. Tu te sens tout… tu te sens mal à l’aise, il y a un truc gênant, mais c’est peut-être juste que j’aime bien, c’est là où j’allais fumer des clopes quand j’étais encore jeune, et puis, bon, j’y retourne toujours. Et c’est juste l’absence de bruits humains qui est cool, et puis il y a des oiseaux, du soleil, des belles lumières, un paysage assez tranquille, quoi. Et là-bas j’y fais pas grand-chose non plus, enfin voilà. Avant c’était l’excuse pour fumer des clopes et donc c’est peut-être là où tu peux ne rien faire, où c’est toléré, et c’est même les situations idéales.”

Entretien avec Chloé Masson

January 2015

Flaubert

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : conclure finir non-finir

« L’ineptie consiste à vouloir conclure. »

« La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. »

Gustave Flaubert, lettres du 4 septembre 1850 à Louis Bouilhet et du 23 octobre 1865 à Mademoiselle Leroyer de Chantepie

June 2014

C’est le DIRE qui importe non le DIT

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : dire dit écriture finir non-finir processus recherche

« Je ne voulais pas livrer le résultat d’une recherche mais écrire cette recherche elle-même en train de s’effectuer, avec ses découvertes à l’état naissant, ses ratés, ses fausses pistes, son élaboration tâtonnante d’une méthode, jamais achevée. Conscient que, « quand tout aura été dit, tout reste encore à dire, toujours tout restera encore à dire » ‒ autrement dit : c’est le DIRE qui importe non le DIT ‒ ce que j’avais écrit m’intéressait beaucoup moins que ce que je pourrai écrire ensuite. Je pense que cela est vrai pour tout écriveur / écrivain. »

André Gorz, Lettre à D.

June 2013

Joubert

Dimension(s): 01 · Cheminement 03 · Espace & temps

Mots-clefs : écriture lieu-idéal livre ne-pas-faire préférer-ne-pas quête

Post-it Joubert

« C’est précisément au cours de sa quête des conditions optimales qui lui auraient permis d’écrire que Joubert tomba sur un lieu enchanteur, idéal pour s’égarer et finir par ne pas écrire le moindre livre. Il ne fut pas loin de prendre racine dans cette quête. Il se trouve justement que, pour le dire avec Blanchot, ce qu’il recherchait, cette source d’écriture, cet espace où pouvoir écrire, cette lumière qu’il rêvait circonscrite dans cet espace, exigea de lui et affirma en lui toutes sortes de dispositions qui devaient le rendre inapte à un quelconque travail littéraire, ou l’en détourner.

Joubert apparaît en cela comme l’un des écrivains véritablement modernes, choisissant le centre plutôt que la sphère, sacrifiant les résultats à la découverte de leurs conditions, renonçant à écrire un livre après l’autre et préférant prendre possession de ce point d’où il lui semblait que naissaient les et qui, une fois atteint, le dispenserait de les écrire. »

Enrique Vila-Matas, Bartleby et Compagnie

June 2013

Don Quichotte

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : don-quichotte échec réussite quête

« Pour Juan José Saer, don Quichotte est un héro épique parce que peu lui importe que sa mission de justice connaisse l’échec ou la réussite. « C’est là le point essentiel à retenir, dit Saer : que, dans toute entreprise humaine, la conscience claire ou voilée du caractère inéluctable de l’échec est fondamentalement opposée à la morale de l’épopée. » À comparer avec cette observation de Stevenson : « Notre mission dans la vie n’est pas de réussir, mais de continuer à échouer sans perdre le moral. »

Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

December 2012

Tout lieu est imaginaire

Dimension(s): 03 · Espace & temps

Mots-clefs : subjectivité-du-lieu

« [Sarduy] pensait que même les lieux où nous vivons sont modifiés par nos préjugés, nos caprices, notre expérience limitée, par le fait que nous passons par tel chemin et non par tel autre pour aller de chez nous à la boulangerie ou que nous choisissions tel café, tel parc, telle épicerie dans la multiplicité de sites qui composent une ville donnée. En ce sens, tout lieu est imaginaire. »

Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

October 2012

C'est quoi ?

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : espace-entre porosité

« C’est pas du théâtre, c’est pas du rock, c’est pas de la musique, c’est pas les lettres, c’est pas du cinéma, c’est pas les arts plastiques, c’est pas les arts du cirque, c’est pas l’art vidéo, c’est pas les arts de la scène, c’est pas une chorégraphie, c’est pas de la performance, c’est pas du dessin, c’est pas un récital, c’est pas les comédiens, c’est pas une exposition, c’est pas des projections C’est quoi? c’est pas tout ça à la fois C’est quoi? »

Jérôme Game, Ce que l’Art contemporain fait à la Littérature

October 2012

Athènes

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : Athènes esclavage prolétarisation travail

« Contradiction dans le monde moderne. À Athènes, le peuple ne pouvait vraiment exercer son pouvoir que parce qu’il y consacrait la plus grande partie de son temps et des esclaves, tout le jour, faisaient les travaux qui restaient à faire. À partir du moment où l’esclavage est supprimé, on met tout le monde au travail. Et c’est à l’époque où la prolétarisation de l’Européen est le plus avancée que l’idéal de souveraineté populaire se fait le plus fort : cela est impossible. »

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

October 2012

De l’indignité du travail

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : oisiveté travail

« On parle beaucoup en ce moment de la dignité du travail, de sa nécessité. M. Gignoux, en particulie, a des opinions très précises sur la question…

Mais c’est une duperie. Il n’a de dignité du travail que dans le travail librement accepté. seule l’oisiveté est une valeur morale parce qu’elle peut servir à juger les hommes. Elle n’est fatale qu’aux médiocres. C’est sa leçon et sa grandeur. Le travail au contraire écrase également les hommes. Il ne fonde pas un jugement. Il met en action une métaphysique de l’humiliation. Les meilleurs ne lui survivent pas sous la forme d’esclavage que la société des bien-pensants actuellement lui donne…

Je propose qu’on renverse la formule classique et qu’on fasse du travail un fruit de l’oisiveté. Il y a une dignité du travail dans les petits tonneaux faits le dimanche. Ici le travail rejoint le jeu et le jeu plié à la technique atteint l’œuvre d’art et la création toute entière.

J’en sais qui s’extasient et s’indignent. Eh ! quoi, mes ouvriers gagnent quarante francs par jour… »

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

September 2012

Suis-je un paresseux ?

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : oisiveté paresse refus-du-travail travail

« J’ai vécu jusqu’à ces jours derniers avec l’idée qu’il fallait faire quelque chose dans la vie et plus précisément que, pauvre, il fallait gagner sa vie, avoir une situation, s’installer. Et il faut croire que cette idée, que je n’ose encore appeler préjugé, était bien enracinée en moi, puisqu’elle durait malgré mes ironies et mes paroles définitives à ce sujet. Et là, une fois nommé à Bel-Abbès, devant ce qu’avait de définitif une semblable installation, tout a soudain reflué. Je me suis refusé à cela, comptant pour rien sans doute ma sécurité au regard de mes chances de vraie vie. J’ai reculé devant le morne et l’engourdissant de cette existence. Si j’avais dépassé les premiers jours j’aurais certainement consenti. Mais là était le danger. J’ai eu peur, peur de la solitude et du définitif. D’avoir rejeté cette vie, de m’être fermé tout ce qu’on appelle « l’avenir », de rester encore dans l’incertitude et la pauvreté, je ne saurais pas dire aujourd’hui si ce fut force ou faiblesse. Mais je sais du moins que, si conflit il y a, c’est pour quelque chose qui en valait la peine. À moins qu’à bien voir… Non. Ce qui m’a fait fuir, c’était sans doute moins de me sentir installé que de me sentir installé dans quelque chose de laid.

Maintenant, suis-je capable de ce que les autres appellent le « sérieux » ? Suis-je un paresseux ? Je ne crois pas et je m’en suis donné des preuves. Mais a-t-on le droit de refuser la peine sous prétexte qu’elle ne vous plaît pas? Je pense que l’oisiveté ne désagrège que ceux qui manquent de tempérament. Et si j’en manquais, il ne me resterait qu’une solution. »

Albert Camus, Carnets I – Mai 1935 / février 1942

September 2012

Quelques règles pour bien quêter

Dimension(s): 01 · Cheminement

Mots-clefs : chevaliers quête

« – Chevalier harassé de sommeil et de soucis, dites-moi si vous avez vu une bête étrange passer par-là.

– Certes, répondit le roi, mais elle est partie dans la forêt. Pourquoi vous intéressez-vous à cette bête ?

– Messires, répondit le chevalier, elle est l’objet de ma quête. Il y a trop longtemps que je la suis, et j’ai tué mon cheval. Plût à Dieu que j’en trouve un autre pour poursuivre ma quête.

[…]

– Il y a douze mois que entrepris ma quête, dit-il, il faut que je la poursuive.

– Sure chevalier, dit Arthur, confiez-la moi et je la poursuivrai encore douze mois, car j’ai besoin de ce genre de choses pour écarter les nuages qui assombrissent mon cœur.

– Vous demandez une chose insensée, répliqua le chevalier. C’est ma quête, je ne peux la transmettre à quiconque, excepté mon plus proche parent. »

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« Vous ne pouvez pas savoir comment une aventure commence, dit [Merlin]. La grandeur naît petite. Ne déshonorez pas votre fête en ignorant ce qui s’y passe. Telle est la loi de la quête. »

John Steinbeck, Le roi Arthur et ses Preux Chevaliers

September 2012

Bibliothèque et pensée

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : bibliothèque livre pensée

« Ma bibliothèque n’a pas de catalogue ; ayant rangé moi-même les livres sur les étagères, je revois en général leur emplacement si je me remémore le plan de la bibliothèque et les zones de lumière et d’ombre n’entravent guère cette exploration. L’ordre remémoré suit un schéma dans mon esprit, la forme et les divisions de la bibliothèque, un peu à la façon dont un observateur des étoiles réunit en figures narratives les minuscules points lumineux ; mais, à son tour, la bibliothèque reflète la configuration de mon esprit, son lointain astronome. »

Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit

June 2012

Bibliothèque et pensée

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : co-fonctionnement contamination épidémie hétérogénéité mariage porosité sympathie vent

« Qu’est-ce qu’un agencement ? C’est une multiplicité qui comporte beaucoup de termes hétérogènes, et qui établit des liaisons, des relations entre eux, à travers des âges, des sexes, des règnes ‒ des natures différentes. Aussi la seule unité de l’agencement est de co-fonctionnement : c’est une symbiose, une “sympathie”. Ce qui est important, ce ne sont jamais les filiations, mais les alliances et les mariages ; ce ne sont pas les hérédités mais les contagions, les épidémies, les vents. »

Gilles Deleuze & Claire Parnet, Dialogues

June 2012

Les listes de Carroll

Dimension(s): 01 · Cheminement 02 · Agencement

Mots-clefs : chaos écriture finir non-finir listes

Post-it Carroll

« Carroll avait observé que la majorité sinon la totalité des livres partent d’un argument préalable auquel l’écrivain ajoute ensuite les détails ; il résolut d’inverser le procédé et de noter les épisodes que ses journées et ses rêves lui proposaient et de les ordonner ensuite. Il consacra dix longues années à forger ces éléments hétérogènes dont l’ensemble lui donna, dit-il, une claire et accablante notion de ce que représente le mot chaos. C’est à peine s’il voulut intervenir dans son œuvre en ajoutant quelques phrases requises par la nécessité de lier le tout. Noircir un nombre déterminé de pages avec un sujet et des développements, cela lui semblait une servitude à laquelle il n’avait pas à se soumettre, puisqu’il n’attachait d’importance ni à la renommée ni à l’argent. »

J.L. Borges, Le Livre des préfaces

July 2011

Ce n’est pas de la paresse

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : paresse travail

« Regardons les choses en face : j’étais un enfant qui détestait accomplir sa part de corvées. J’essayais de garder la plus grande distance entre moi et le travail. Je ne crois pas avoir été paresseux, vu que je faisais beaucoup d’autres choses, mais c’était toujours des choses que j’avais envie de faire, et je m’efforçais de ne pas transiger sur mes valeurs. »

Richard Brautigan, Mémoires sauvées du vent

July 2011

Le Fainéant

Dimension(s): 04 · Travail & oisiveté

Mots-clefs : (B) ne-rien-faire oisiveté paresse

Post-it Van Gogh

« Puis il y a l’autre fainéant, le fainéant bien malgré lui, qui est rongé intérieurement par un grand désir d’action, qui ne fait rien, parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire, puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qui lui faudrait pour être productif, parce que la fatalité des circonstances le réduit à ce point, un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire, mais il sent par instinct : pourtant je suis bon à quelque chose, je me sens une raison d’être! Je sens que je pourrais être un tout autre homme ! À quoi donc pourrais-je être utile, à quoi pourrais-je servir! Il y a quelque chose au dedans de moi, qu’est-ce que c’est donc ? »

Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo

July 2011

The Eleventh Hour

Dimension(s): 02 · Agencement

Mots-clefs : coin-de-l-oeil espace-entre

Capture d'écran s05e01 Doctor Who, une policière regarde du coin de l'oeil

Docteur : C’est difficile, je suis un nouveau moi, rien ne fonctionne mais il y a un détail qui m’échappe… quelque chose que l’on distingue à peine… du coin de l’œil.

[…]

Policière : Je ne vois rien mais…

Doc*teur : Et du coin de l’œil ?

Policière (effrayée) : C’est quoi ?

Docteur : N’essayez pas de le voir, s’il sait que vous l’avez vu, il vous tuera. Ne le regardez pas. Surtout ne le regardez pas !

Docteur Who – Saison 5 épisode 01 – The 11th Hour

July 2011