N° 390 · Carnet VIII
Fictions – Penser le monde par la littérature
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Première publication : 2017
Lu du
01/01/2018 au 12/01/2018, à Port-Marly, Cancale
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« Curieusement, dans les chutes de chacun – dans les graves chutes de chacun – réside un point panoramique. Au fond de l'insuccès ou de la chute se trouve la possibilité panoramique de voir sa propre vie avec une profondeur inédite, mais aussi de revoir le passé et de donner un coup d'œil anticipateur sur le futur. Les chutes contiennent la possibilité de conversion et de compréhension de l'existence d'un individu. »
"La Chute comme expérience de salut", Erri de Luca, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 22.
« Inévitablement les trois monothéismes ne peuvent pas former une confédération monothéique. Si chacun nie les autres, ils ne peuvent habiter ensemble. Il y a eu des époques de notre histoire où les monothéismes tombaient du ciel et ont pu cohabiter sur la terre. Au rez-de-chaussée, les personnes de n'importe quelle foi se retrouvent et se respectent. Ce sont dans les étages supérieurs et dans la hauteur des palais qu'on ne comprend pas ce qui se passe en bas. Ceux d'en haut imaginent qu'il y a au rez-de-chaussée des problèmes à résoudre dans l'état d'urgence. Chaque fois que ceux d'en haut n'ont pas administré la normalité, ils évoquent l'état d'urgence. À chaque fois que vous les entendez arguer l'état d'urgence, vous savez qu'ils reconnaissent leur incompétence à gérer les affaires courantes. »
"La Chute comme expérience de salut", Erri de Luca, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 33.
« On ne le croirait pas mais briser un peuple est chose facile. Et même très facile lorsque la religion, l'argent du pétrole et la répression s'y mettent. Privé à ce point de liberté, le peuple sombre en douceur dans l'ignorance et l'apathie. Il est sous hypnose, il n'entend que la voix du maître. Un demi-siècle de ce régime est une cure fatale. On ne revient pas à la vie après une si longue mort. Plusieurs générations devront passer pour que la vie reverdisse un jour. Ce n'est certes pas l'affaire d'un seul printemps. »
"Écrire dans la violence du monde", Boualem Sansal, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 88.
« Au cœur de cette terrible guerre civile*, comme beaucoup de mes compatriotes, j eme suis trouvé plongé dans un abîme de questionnements. Cette haine, cette barbarie, d'où venaient-elles ? Quel Dieu permet cela ? J'entendais dire qu'elles étaient filles de la dictature et de l'étouffement de la société, de la misère, du chômage et de la corruption endémique, des frustrations de toutes sortes, des agissements de l'impérialisme et du néocolonialisme. Ce sont des maux qui fabriquent l'islamiste, le barbare, le tueur fou. Avant même d'approfondir la réflexion, ces explications, diffusées au pays et en europe, me paraissaient dangereusement courtes. Sans un diagnostic exhaustif, comment prescrire le bon remède ? Il y avait d'autres catégories à questionner, la culture, la religion, l'histoire longue, les codes identitaires, l'organisation tribale, féodale et patriarcale de la société, leur pouvoir gravitationnel est autrement plus fort que la pression des causes immédiates. Pourquoi encore aujourd'hui s'interdit-on de les interroger ? A-t-on peur de faire le projet de la culture, de la religion, de l'identité, de l'histoire ? Les peuples sont à ce point imbus de leurs croyances qu'ils vont jusqu'à refuser de voir les maladies qu'elles leur infligent pour ne pas se trouver obligés de leur en attribuer la paternité et d'avoir à les critiquer et à les abandonner.
* La décennie noire »
"Écrire dans la violence du monde", Boualem Sansal, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 90.
« En liaison avec la compréhension du monde attendue de la littérature, on peut avancer qu'il n'y d'écrivains qu'engagés, car [...] le monde n'a pas de signification en soi et peut-être pas d'existence réelle, il n'existe que dans le regard des hommes et seulement à partir du moment où ceux-ci trouvent le mot idoine pour le nommer et l'insérer dans un récit signifiant. En nommant, ils engagent leur responsabilité devant les hommes. »
"Écrire dans la violence du monde", Boualem Sansal, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 92.
« La littérature moderne se fait sur un rythme court. Le monde étant en rupture de sens, c'est-à-dire de perspective longue, l'actualité est sa seule mesure. Tout se fait dans le jour, le mois, l'année au plus. »
"Écrire dans la violence du monde", Boualem Sansal, 2017 : Chêne-Bourg, Georg, "Achevé d'imprimer", p. 93.