– Il y a cinq mille, dix mille ans, les Martiens ont fait le Flacon Bleu, dit Beck. Soufflé dans du verre martien — perdu et retrouvé, perdu et retrouvé, encore et encore.
Il regarda fixement le brouillard de chaleur qui faisait vaciller la ville morte. Toute ma vie, pensa Beck, je n’ai rien fait, et rien à l’intérieur de ce rien. D’autres, des hommes meilleurs, ont fait de grandes choses, sont allés sur Mercure, ou Vénus, ou au-delà du Système. Sauf moi. Pas moi. Mais le Flacon Bleu peut changer tout ça. »
« Beck termina sa pièce et s’apprêta à occuper la suivante. Il avait presque peur de continuer. Peur que cette fois il le trouve, que la quête finisse, et que sa vie n’ait plus de sens. C’est seulement après avoir entendu parler du Flacon Bleu par des voyageurs venant de Vénus, dix ans auparavant, que la vie avait commencé d’avoir un but. La fièvre s’était emparé de lui et le consumait depuis. S’il s’y prenait bien, la perspective de trouver le flacon pouvait emplir sa vie entière. Encore trente ans, s’il faisait attention à ne pas trop se hâter, de recherche, sans jamais s’avouer ouvertement que ce n’était pas du tout le flacon qui comptait, mais la quête, la course et la chasse, la poussière et les cités, et l’excitation. »
Ray Bradbury, « le flacon bleu », in Bien après minuit.
]]>“N., c’est un endroit à côté de chez moi, c’est un tout petit ‒ ils appellent ça un port mais c’est pas un port, c’est juste un endroit où les canots rencontrent une petite route, c’est même un peu sauvage, et il y a des espèces de chalands, des petites barques comme ça et c’est un chemin… assez long, bref, c’est un point de vue, quand même un peu, je sais pas. Et c’est petit, c’est juste ‒ tu fais juste demi-tour sur le bout du chemin, en voiture, et il y a une sorte de règle tacite comme quoi ‒ bon, on la respecte de moins en moins, malheureusement ! Moi non plus je la respecte pas, mais ‒ si y’a quelqu’un, ben on t’a pris ta place, quoi, tu vois, c’est pas assez grand, et si ya des gens qui discutent à côté de toi, ça casse le truc. Tu te sens tout… tu te sens mal à l’aise, il y a un truc gênant, mais c’est peut-être juste que j’aime bien, c’est là où j’allais fumer des clopes quand j’étais encore jeune, et puis, bon, j’y retourne toujours. Et c’est juste l’absence de bruits humains qui est cool, et puis il y a des oiseaux, du soleil, des belles lumières, un paysage assez tranquille, quoi. Et là-bas j’y fais pas grand-chose non plus, enfin voilà. Avant c’était l’excuse pour fumer des clopes et donc c’est peut-être là où tu peux ne rien faire, où c’est toléré, et c’est même les situations idéales.”
Entretien avec Chloé Masson
]]>« Puis il y a l’autre fainéant, le fainéant bien malgré lui, qui est rongé intérieurement par un grand désir d’action, qui ne fait rien, parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire, puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qui lui faudrait pour être productif, parce que la fatalité des circonstances le réduit à ce point, un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire, mais il sent par instinct : pourtant je suis bon à quelque chose, je me sens une raison d’être! Je sens que je pourrais être un tout autre homme! À quoi donc pourrais-je être utile, à quoi pourrais-je servir! Il y a quelque chose au dedans de moi, qu’est-ce que c’est donc ? »
Vincent VAN GOGH, Lettres à son frère Théo.
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